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Retour sur le Temple de Vienne consacré à Jupiter et non à Auguste…

10/02/2012
Il va s’en dire qu’une telle affirmation a suscité nombre de réactions, les uns partageant cette idée et son explication, d’autres refusant tout débat par avance, et d’autres encore demandant à en savoir plus. Voici pourquoi, nous revenons sur cette « affaire », et nous avons demandé à nos deux collaborateurs d’approfondir leurs explications au niveau des inscriptions.

 

Analyse du lettrage des deux inscriptions

Il faut distinguer l’inscription de la frise et celle de l’architrave. Sur cette dernière, il existe une homogénéité et une grande rigueur dans la taille et la forme des trous d’ancrages ; elle ne s’apparente pas à celle de la frise. 

Au niveau de la frise, il se présente deux types de trous d’ancrages : 

Des petits trous avec pour certaines lettres une forme géométrique définie en forme de triangle ou de rectangle. Des trous plus gros de forme sensiblement carrée ou rectangulaire, et une lettre présente même de très gros trous.

Une lettre possède toujours un même type de trous ; il ne peut y avoir panachage des deux tailles dans la même lettre, sauf pour le « ET » qui reprend des trous du « T » antérieur.

La première idée qui vient à l’esprit est de dire que les lettres avec une taille de trous identiques appartiennent à chacune des deux inscriptions, mais cela ne permet aucune lecture cohérente. Il y a donc répartition dans les deux inscriptions. 

Il n’est pas envisageable d’imaginer que l’artisan chargé de la pose ait, au gré de son humeur, creusé des cavités de tailles différentes. Il faut donc rechercher des explications plus rationnelles. La première hypothèse serait que chaque artisan bronzier a utilisé des tenons de même taille à chaque période. Lors de la réutilisation de certaines lettres, il aurait fallu creuser des cavités de taille correspondant à la taille des tenons. L’homogénéité de l’inscription de l’architrave nous orienterait vers cette hypothèse.

La deuxième hypothèse serait que plusieurs ateliers de bronziers ont travaillé simultanément, chacun avec sa technique et sa norme de tenons.

La troisième hypothèse serait qu’un seul atelier a travaillé et qu’il n’existait pas de règle définie pour la taille des tenons.

Des négatifs encore visibles, fasciculaires, en forme de « T » inversé, apportent la preuve que les tenons avaient une facture différente ; de même ces négatifs indiquent que la taille des trous n’est pas forcément liée à la taille des tenons.

Au niveau de la frise, le mortier de scellement est encore présent dans plusieurs cavités, tandis que dans les cavités de l’architrave aucune trace de mortier n’est visible : du fait de cette absence et de la grande taille des cavités, on peut envisager que des scellements au plomb aient été utilisés.

 

Analyse du texte de Formigé

« ROMAE ET AUGUSTO CAESARI DIVI F » 

Formigé a lu l’inscription « grâce à l’éclairage rasant d’un puissant phare électrique, pendant la nuit » et non par un travail sur relevé : Il aurait du voir de cette manière la présence d’ un « D » et d’un « O » (les lettres se superposent dans les deux inscriptions), là où il place un « R », obtenant « CAESARI » et non « CAESADI » ; par ailleurs tous les « R » de la frise présentent trois trous d’ancrage dont un sur la barre oblique du « R ».

L’architecte considère qu’il s’agit de la première inscription et « qu’elle utilise tous les petits trous dont la forme et l’inclinaison servent de vérification ». Cela est fallacieux puisque le « G » d’ « AUGUSTO » et le « C » de « CAESA » sont fixés par des gros trous. 

De plus, il n’est pas possible de placer correctement les lettres de « ROMAE »  : le « M » n’est pas envisageable. Formigé sur son dessin lui octroie cinq trous de fixation de tailles différentes appartenant en réalité à deux lettres distinctes (« R » de la première, et « V » de la seconde) ; en outre le « M » va chevaucher le « O » qui le précède, et surtout il n’est pas possible d’obtenir le graphisme du « M » avec ces cinq trous. Il explique ensuite « que les lettres de la première (inscription) étaient seules entaillées » et plus loin dans son texte, que « ses lettres étaient légèrement entaillées dans la pierre alors que celles de la seconde ne l’étaient pas ». Cela est surprenant car si les entailles dataient de la première inscription, elles auraient dû être aplanies lors de la mise en place de la deuxième inscription, afin de ne pas venir en gêner la pose et en perturber sa lecture. Les entailles sont donc celles de la deuxième inscription, qui sera certainement retirée du fronton sous Théodose le Grand entre les années 379-395. Ayant mélangé des lettres et des mots de la première et deuxième inscription, il ne peut avec les lettres restantes, trouver un sens correct pour la deuxième inscription. Cependant, bien qu’il n’en soit pas du tout convaincu, et que pour lui « la formule semble peu satisfaisante », il reprend la lecture de Schneyder :

« DIVO AUGUSTO OPTIMO MAXIMO ET DIVAE AUGUSTAE »

Si l’on superpose l’inscription de Schneyder et de Formigé, il reste un nombre important de trous inutilisés, ce qui rend ces solutions inacceptables.

 

trous d’ancrages et traces de tenons

 

Conditions de la lecture

De toutes les manières, seul le décryptage des deux inscriptions simultanément peut approcher de la vérité avec la plus grande probabilité. En réalité la solution est relativement simple à trouver à plusieurs conditions :

Sortir du piège d’AUGUSTO et d’AUGUSTAE : en effet la mauvaise lecture a enfermé toutes les interprétation dans un carcan historique : dès lors qu’il s’agissait de Livie, AUGUSTO ne pouvait être qu’Auguste et naturellement le fils du divin César.

Utiliser les traces d’engravement de lettres encore visibles sur les anciennes photos, de les considérer comme des éléments absolus et intangibles. Il a été constaté par Schneyder et Formigé, et par nous-mêmes, que le premier « O » ainsi que le « ET  AUGUSTO » sont facilement lisibles. Mais superposée sur le « S », une autre lettre est encore plus indentifiable par sa trace laissée, il s’agit d’un « L », ce qui entraîne une seconde lecture « AUG ULTO », AUGUSTE VENGEUR. Cette dénomination pourrait s’appliquer au tétrarque Constance Chlore en charge des Gaules, César de Maximien en 293, et Auguste à partir de 305. Eumène d’Autun dans son panégyrique le qualifie de « vengeur et libérateur » suite à ses campagnes militaires en Bretagne. Une autre lettre, le « T » de « TARA ,» semble aussi être remplacée par un « D », ce qui pourrait transformer le mot en « DAR », changeant totalement la signification de la phrase.

Considérer que tous les trous d’ancrage sont présents et qu’il n’y en a pas, ni en plus, ni en moins. Au début de l’inscription, du fait de la fracture des premiers blocs, il ne reste que la trace difficilement perceptible des pointes de deux tenons. 

Respecter les ancrages de chaque lettre avec rigueur et refuser la mise en place d’une lettre si cet impératif n’est pas obtenu.

Rendre à l’architecture du temple et à la stylistique des chapiteaux leurs places, les considérer comme des éléments essentiels de datation.

Arrêter d’évoquer l’incapacité des artisans de l’époque et admettre qu’il n’y a aucune erreur des lapicides.

Avoir une connaissance approfondie de la ville de Vienne, et appréhender la restructuration totale de son centre urbain au troisième et quatrième siècles.

 

Lettres réutilisées ?

Une seule lettre est commune et à la même place, le « O » de « GLORA » dans la première, et « IOVI » dans la seconde. Ce constat permet en outre de conclure que les « O » sont parfaitement circulaires.

Dans les deux, les « G », du fait de la grosseur de leurs trous d’ancrage, ont un empattement plus large que les autres lettres.

Certains points d’ancrages sont communs dans les deux textes : le « D » de « DI », et le « I »de « LI », le « T » de « TAR » et de « ET », le « O » de « RUO », et le « I » de « IRI ». Outre le « O » commun, antérieurement cité, il semblerait que les deux autres « O » aient resservi (les tenons ont la même disposition), et aient été replacés en ayant simplement subi une rotation anti-horaire de 15 degrés environ. Se retrouvent aussi pour les « A » et les « V » des tenons d’implantation quasiment superposables.

Tous ces constats montrent que la hauteur des lettres est identique dans les deux écrits.

Il est probable qu’un certain nombre de lettres sont réutilisées dans les deux textes, provenant peut-être de la première inscription de l’Empire des Gaules, et éventuellement même de la dédicace augustéenne.

 

Analyse historique du lettrage

En conclusion, une chronologie relative peut être envisagée en fonction de cette analyse.

Inscription augustéenne (- 35)

Les deux inscriptions pendant l’Empire des Gaules (260-273)

Modification (tar en dar) sous Aurélien ou Probus (de 273 à 282)

Nouvelle inscription Dioclétien seul Auguste (284-286)

Mise en place de l’inscription de la frise (Edit de Nicomédie en 302 interdisant la religion chrétienne, et instructions de Dioclétien à Julianus consul d’Afrique : « essayer de changer des doctrines qui ont été posées une fois pour toutse par les anciens, des doctrines dont la position est stable et reconnue, est le plus grand des crimes ».

Constance Chlore Auguste en 305 (transformation de AUGUSTO en AUG ULTO).

 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir

Par Pierre André et Marc Chalon

 

 

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