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Où il est question de Galilée, des Médicis et de Dante…

20/12/2010
Dans le miroir de la mer Tyrrhénienne, les collines couvertes d’oliviers et de cyprès renvoient imperturbablement cette image de carte postale qui a tant servi d’emblème intemporel à cette Toscane qui, finalement, est bien plus qu’une région mais presque un pays que les Etrusques, en « villégiature » ici bien avant notre ère, avaient déjà fortifié et développé. On dit même que les habitants de l’Etrurie cultivaient déjà la vigne quelques siècles avant les Romains.

« Eppur si muove »
Aurait-il abusé de ce Montescudaio au Sangiovese délicatement épicé et que l’on trouve dans le Val di Cecina  cet homme étrange qui occupe son temps à lâcher des balles de bois, de plomb et de papier du sommet de cette tour à huit étages haute de 58 mètres et ornées de colonnes taillées dans ce marbre blanc de la voisine Carrare ? Non, le vin béni des papes n’a pas fait tourner le sang de cet homme qui va découvrir ainsi que tous les corps sont animés du même mouvement, quelle que soit leur masse. Vous avez dit relativité et gravité universelle ? L’homme est donc un savant, et pas des moindres, il est né ici à Pise, pas très loin de cette Piazza dei Miracoli au centre de laquelle se dresse ce campanile appelé tour penchée, et qui d’ailleurs penche depuis quasiment son édification à cause d’un sol capricieux. Au fait, il s’appelle Galileo Galilei, pour nous ce sera Galilée.
Né à Pise en 1564, il fait partie du patrimoine culturel et scientifique de la vieille Europe, celle de cette charnière entre Moyen-Âge et Renaissance, au même titre que Copernic, Léonard de Vinci ou Breughel. Tous ont fait basculer notre civilisation du côté de l’intelligence et de ce que nous appellerons plus tard en France « Les Lumières ». Malheureusement, on a parfois peine à croire que nous venons de là, l’avachissement de notre  civilisation nous incite à penser que ces « Lumières » ont bien été éteintes…
Galilée, c’est l’homme de Pise, « cette autre Rome » comme le précisait au 12e siècle le « Liber Maiolichinus », une autre Rome enrichie par les Grecs, les Etrusques, les Romains… et les Toscans bien évidemment. C’est l’homme de la physique moderne, de la lunette astronomique, des sciences de la mécanique, du thermoscope, c’est l’écrivain qui rédigea « Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde » en 1632, et ce à la demande du pape Urbain VIII, ce qui le mènera à subir la question avant d’être condamné à la prison à vie.
« Eppur si muove », et pourtant elle tourne cette terre, ce que dit l’héliocentrisme, thèse interdite et opposée au géocentrisme né avec Aristote, fervent défenseur d’une terre immobile au centre de l’univers.
Par Platon, Pythagore et Archimède, il n’est pas question d’abandonner sa foi en chemin, il y va de l’avenir de l’Homme ! Aristarque en 300 avant J.C nous disait « la terre tourne, non seulement sur elle-même, mais autour du soleil », ce que Copernic confirmera en précisant que « la terre tourne autour du soleil en une année et sur elle-même en 24 heures ». Galilée a raison, le soleil est le centre du monde.
Le Champ des Miracles
Il faut bien y croire, alors on s’en donnera les moyens. Et c’est grâce à la puissance maritime de l’ancienne Municipe de Rome que ce Campo dei Miracoli ou champ des miracles s’organisera aussi majestueusement pour devenir en ce début de troisième millénaire l’un des lieux les plus visités d’Europe.
Cette puissance magistrale, à son apogée au 11e siècle, permettra à Pise de piller certaines villes conquises, Palerme entre autres en 1063, pour entamer la construction de la Cathédrale. Elle sera confiée à Buscheto et sera consacrée en 1118, bien avant son achèvement. Par la suite, viendront prendre place le Baptistère de style roman-gothique, dont la hauteur est identique à celle du campanile ou tour penchée, également en marbre blanc et orné de galeries romanes en spirale. Enfin, au bout de la place, sera érigé à la fin du 13e siècle le Cimetière Monumental : fresques, sarcophages, tabernacle, statues grecques, vases attiques, stèles funéraires… c’est déjà un cours préparatoire à la visite du Musée des Sinoples, unique au monde.
Le poète Tobino définissait « il campo dei miracoli » comme une « géométrie éblouissante » au cœur de la Pise romaine. Une géométrie enserrée par les remparts du Moyen-Âge.
Cette fin de 13e siècle, évoquée plus avant, sera celle de la fin de cette suprématie maritime. En 1289, Pise est vaincue par Gênes, rivale et alliée selon les circonstances, sa flotte est détruite, elle laissera à l’ennemi des milliers d’hommes et perdra la Sardaigne.
Deux siècles plus tôt, la ville avait participé à la première croisade en fournissant plus de cent navires, pillant en passant les îles byzantines, puis avait imposé sa puissance sur Reggio de Calabre, la Sardaigne et la Corse, une supériorité que le pape Urbain II avait reconnue en 1092.
La place des Médicis
L’autre grande attraction de Pise, c’est la  Piazza dei Cavalieri, que l’on rejoint en longeant les incontournables hôtels particuliers des 17e et 18e siècles, ainsi que le plus vieux jardin botanique du monde datant de 1543. Cette place est un peu un coup de folie d’un Médicis, Cosme 1er, premier Duc de Toscane, féru de philosophie platonicienne, et qui décida de construire un nouveau palais, celui « Dei Cavalieri » (palais de l’ordre des Chevaliers de Santo Stefano) : perron monumental, escalier à balustrades, riche décoration de façade symbolisent la puissance d’une famille. Mais il n’est pas seul aux Cavalieri. Voici le palais Dell’Orlogio, conçu comme le précédent par l’illustre Vasari, le maître de Florence à qui l’on doit le « corridoio » qui reliait le palais Vecchio au palais Pitti, commandé par ce même Cosme 1er de Médicis, palais Dell’Orlogio qui réunit un palais médiéval et la « Torre della Fame ». Une tour évoquée par Dante et de réputation morbide.
Afin de compléter cette « place d’auteur » ajoutons le palais Putaneo et l’église Santo Stefano  qui renferme le reliquaire doré de Donatello.
En fait, la Toscane des Médicis brille de tout son art, peintres, sculpteurs, architectes, musiciens servent l’Ars Nuova qui donne la cadence. En Italie, le pouvoir est passé aux mains de grands bourgeois qui ont développé le commerce. Et ce qui est bon pour les affaires ne tarde pas à produire ses effets collatéraux sur les arts.

Sur les bords de l’Arno

Voilà pour les monstres sacrés édifiés entre 11e et 16e siècle. Mais la ville ne se résume pas à cette seule description éminemment touristique pour qui « se fait la Toscane en trois jours » ! Il faut aussi pénétrer ruelles et placettes, il faut flâner le long de l’Arno où là encore les palais sont nombreux, Byron écrivit son « Don Juan » dans l’un d’entre eux. Ici, vous découvrirez l’étonnante église de Santa Maria de la Spina, comme montée sur le trottoir après que l’église fut déplacée en 1871 pour être à l’abri d’éventuelles crues. C’est un chef-d’œuvre de flèches en dentelle, un diadème de pierre réalisé par Giovanni Pisano vers 1310. Plus loin, le courant du fleuve vous mènera à l’ancienne citadelle où désormais Galilée fait sculpture. Mais lui, vous le connaissez déjà…

De l’alabastre à Dante
Près de Pise, si la première halte peut concerner la Chartreuse du 14e siècle (à Calci) avec son église baroque et ses deux cloîtres, la vedette américaine sera quand même la cité romaine et étrusque de Volterra. Bien sûr, la Piazza dei Priori nous la fait à l’italienne d’entrée avec palais et tour du 13e siècle, mais la ville de l’alabastre va encore nous étonner avec les ruines de son théâtre romain, ses tours du Moyen-Âge et ses nombreuses sculptures… en alabastre évidemment.
Mais voici l’une des plus belles places d’Italie
Le village de Vinci, dressé sur les pentes du Monte Albano dominant la vallée de Pistoia, vit naître un 14 avril de l’an 1452 un certain Leonard de Vinci. Un type comme ça n’est pas venu au monde n’importe où. Alors descendons dans cette vallée… Car cette place unique est à Pistoia, ville moyenne située à une soixantaine de kilomètres de Pise sur la route qui va de Lucques à Florence, et c’est la Piazza del Duomo, immense carré qui rassemble les édifices majeurs des pouvoirs religieux, administratif et judiciaire : Cathédrale (Duomo), Baptistère octogonal revêtu de marbre à bandes horizontales blanches et vertes, palais du Podestà (ou prétoire), Hôtel de Ville ou ex-siège du gouvernement citadin, palais des Evêques et Tour de Catilina. L’ensemble médiéval et Renaissance est impressionnant de beauté et de rigueur. On pourrait imaginer en ce lieu, disons fin de 13e siècle, un certain Vanni Fucci, célèbre en ville pour ses méfaits (il pilla la Cathédrale une nuit de carnaval en 1293) et qui sera condamné comme voleur et assassin. De quoi se retrouver dans l’Enfer de la Divine Comédie de Dante Alighieri. On ira donc voie la Torre di Vanni Fucci avant de suivre Dante à travers les Sept Portes de l’Enfer.
Illustrée par les peintres Fra Paolo da Pistoia et Leonardo da Pistoia au cours du 16e siècle, Pistoia est aussi la ville du pape Clément IX dont le pontificat se déroula de 1667 à 1669.

Caccia et Ballata
La première est un peu une peinture impressionniste qui décrit les scènes de la vie quotidienne, les marchés, la pêche, les conversations de rues, les amours… c’est une sorte de canon chanté à deux voix, la seconde fut chère à Dante. Elles sont la musique de cette Toscane flamboyante des Médicis, en épisodes mélismatiques et déclamatoires elles accompagnent parfaitement cette nature qui semble parfois organisée par la main de Dieu ou d’un architecte élu par quelques maîtres du temps. Galilée disait « la nature elle-même est mathématique », ce que nous pouvons voir, tant à Pise qu’à Pistoia n’a rien de mathématique, c’est l’œuvre de ceux qui savent, dont le maître fut peut-être, comme le soulignait encore Dante, ce vieux Aristote. Mais c’est une toute autre histoire…

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