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L’industrie automobile chinoise a mis un pied dans la porte…

20/01/2012
Lorsqu’en 1902, CiXi, l’impératrice douairière de la dynastie Qing, retrouva la Cité Interdite, c’est à bord de la première automobile circulant dans le pays qu’elle fit son retour. Un siècle plus tard, il suffit de sortir de ce havre de silence pour rencontrer la modernité tonitruante de Pékin menée au son des moteurs et klaxons. Pearl Buck aurait-elle imaginé un tel chambardement en à peine une décennie ?...

Une production exponentielle

A force de ne plus avoir à imaginer le pire depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale, nous nous sommes sentis à l’abri de tous bouleversements socio-économiques, en gros on en avait encore pour au moins un siècle sous la pédale, les pays émergents sortant à peine du Moyen-Âge. Raté. Ce fut vrai jusqu’à la fin du 20e siècle, mais depuis le passage au troisième millénaire la Chine et ses 1,3 milliard de Chinois n’en finit plus de nous mettre face à nos incohérences nées de cette espèce de perfection absolue que nous avons voulu définir comme une obligation quasi-constitutionnelle. Pour faire simple, cette recherche d’un système parfait, sans failles, politiquement correct et socialement généreux, nous interdit aujourd’hui d’être compétitifs, réactifs, voire ambitieux et téméraires.

Nous considérons comme acquis tout ce qui nous est arrivé de bon quand tout allait bien, il nous est impossible d’imaginer de supprimer ne serait-ce que 5% de ces mêmes acquis lorsque tout va beaucoup moins bien. C’est quasiment de l’autisme.

Et je dirai que ceci ne concerne pas seulement la France, même si nous sommes leader du classement par équipe, c’est toute la vieille Europe dite occidentale qui traîne les pieds, qui semble ne plus vouloir partir à l’assaut de nouvelles citadelles, peut-être parce que repue de confort et accaparée par le besoin viscéral de loisirs.

Bien sûr, nous avons des atouts dans notre jeu, l’industrie automobile en est un, et même si nos marchés nationaux ne sont pas au mieux de leur forme car soutenus à coups de primes, il reste tellement de citoyens à équiper de par le monde qu’il y a encore de l’optimisme au compteur. Mais pour combien de temps ?

En 2009, la Chine a produit 13,7 millions de véhicules pour un marché qui a représenté 13,6 millions d’autos vendues. Jusqu’ici tout va bien. Mais dès que la production dépassera très largement la demande, il nous faudra commencer à moins regarder de haut ces automobiles made in China. Aujourd’hui, cette industrie tourne à environ 120% de ses capacités, presque tous les constructeurs chinois travaillent plus de 20 heures par jour, la production étant encouragée par les autorités locales dans 27 des 32 provinces, et ce eu égard aux intérêts économiques locaux.

« La surcapacité de l’industrie automobile menace le développement durable de l’économie » rappelait récemment le patron de la commission d’Etat pour le développement et la réforme. Globalement, on sait que d’ici à 2015, la production dépassera largement la demande interne. On imagine la suite, la Chine va devoir exporter massivement au cours de la prochaine décennie… celle qui commence dès maintenant.

 

Combien de temps avons-nous ?

En 2006, la Chine était le troisième producteur mondial après les USA et le Japon, il n’y avait dans le pays aucune autoroute il y a vingt-cinq ans, on en compte plus de 70.000 km aujourd’hui. Autre réalité, en 1978, le parc automobile comptait 1,3 million d’unités, 33 millions en 2005, 62 millions en 2009, les prévisions font état de 200 millions en 2020. Plus de quatre millions d’hommes et de femmes forment ces nouveaux bataillons regroupés au sein de l’industrie automobile, et ce à travers une centaine de marques dont beaucoup ne représentent encore pas de menace pour nos marchés, mais des regroupements sont à prévoir.

Actuellement, rien qu’en équipant leur marché intérieur des classes moyennes, les constructeurs chinois investissent le top 30 mondial en plaçant 8 marques entre la 20e et la 30e position, classement qui risque d’évoluer avec cette place de leader confortée par la Chine en matière de production automobile.

On le sait, pour alimenter la machine qui produit chaque année quelques dizaines de millions de citoyens supplémentaires de la classe moyenne, il faut exporter, seul ou à travers des joint-ventures, sortes de Cheval de Troie nourrit avec des apports technologiques et du savoir-faire. Quand le chinois Geely achète le suédois Volvo pour 1,8 milliard de dollars, c’est une image et un savoir-faire qui sont transférés loin de la maison mère. Et les résultats ne se font pas attendre, + 12% de ventes mondiales, + 52% en Chine pour les neuf premiers mois de l’année 2010, la Chine devenant le troisième marché pour Volvo.

Et rien ne semble pouvoir perturber cette entreprise de séduction des marchés occidentaux. Lionel Messi, la star de Barcelone, a signé un contrat d’ambassadeur avec la marque Chery en 2009, le chinois BAIC a manqué d’un cheveu la reprise de SAAB, et c’est sur le terrain de l’environnement que Pékin joue un autre atout : après avoir refusé le protocole de Kyoto, la Chine accepte de prendre des mesures environnementales d’ici à 2020 et annonce, entre autres, la production d’un million de voitures électriques par an à partir de cette même année 2020 (ce qui, entre nous, laisse un peu de marge pour continuer à polluer allègrement, les émissions de gaz des véhicules représentant 70% de la pollution atmosphérique des grandes villes du pays). Mais le message est envoyé et les faits symboliques suivent, à Linyi, province du Shandong (l’une des provinces où l’on fabrique le plus d’automobiles), la première station-service de recharge capable de réalimenter 45 autos en même temps a été inaugurée. On parle de 27 grandes villes équipées de ce type de station-service d’ici à la fin de l’année. Les successeurs de Mao seraient-ils plus réactifs que M. Borloo ? Soulignons que lors du dernier Salon de Pékin, vingt modèles électriques « made in China » furent exposés.

Quant au bémol environnemental, il est quand même majeur, l’électricité produite à partir du charbon représente 70% de la production actuelle, les vœux pieux évoquent 50 à 60% dans 5 ou 10 ans. On reste assez vague… d’autant que d’ici à cette échéance de 2020, rappelons-le, le marché chinois sera passé de 60 à 200 millions d’automobiles à moteur thermique.

Alors, combien de temps avons-nous avant de voir débarquer cette nouvelle armada venue d’Asie, et ce après les automobiles japonaises puis coréennes ? Dès que ces autos répondront à nos exigences en matière de sécurité, pour le reste, le look et les équipements ne seront que des détails en relation avec les tarifs pratiqués.

 

Un pied dans la porte

« Il est clair que les véhicules chinois, indiens ou d’autres pays émergents, seront dans les prochaines années monnaie courante sur les routes européennes », cette phrase n’est pas lancée à la légère, elle émane de celui que l’on pourrait qualifier d’examinateur en chef, Michiel Von Ratingen, le secrétaire général d’EuroN-CAP, organisme de référence incontournable pour commercialiser un véhicule sur les marchés européens. Et cette remarque est récente, elle date du 24 novembre dernier après le passage d’un MPV de la marque Landwind, qui fut recalée à ces mêmes tests en 2005. Des véhicules corrigés pour répondre aux normes de sécurité européennes, voilà le challenge que l’industrie automobile chinoise s’apprête à relever, et des véhicules qui arriveront 20 à 40% moins chers que les entrées de gamme européennes. Un exemple, la BYD F1, conçue à partir des 107, C1 et Toyota Aygo, est proposée à 2.200 € en Chine. Qui dit mieux ? Notons au passage que le patron de Byd, M. Wang Chuanfu, est l’homme le plus riche du pays.

Bien sûr, aujourd’hui, avec 384.300 autos exportées au cours des 9 premiers mois de l’année, la Chine n’est pas un problème, même si cela représente une progression de +77% par rapport à 2009. Si ce sont les marchés de l’Europe de l’Est (et le Brésil) qui sont visés dans un premier temps, les constructeurs chinois possèdent déjà douze sites hors du pays (Russie, Ukraine, Brésil…), les alizés risquent de souffler dans notre direction, d’autant que ces mêmes constructeurs chinois ont décidé de faire du diesel pour l’Europe (motorisation quasi-inexistante chez eux).

Un autre fait majeur s’est invité au débat depuis deux ans, c’est cette fameuse crise, une crise accompagnée d’une lame de fond imprévisible, les consommateurs européens regardent différemment l’automobile et descendent en gamme, on le constate en France avec l’impressionnante progression des petites autos et des low cost. Il y a donc potentiellement de la place pour les Byd, Faw, Chery, Changan, Dongfeng, Saic et autres Landwind, Brilliance et Geely, les trois marques qui firent une première apparition en Europe au salon de Francfort en 2005.

Il manque bien sûr les réseaux, mais si le marché existe ils suivront. Déjà, Asie Auto peut s’appuyer en France sur l’ex-réseau MG Rover, marque rachetée en 2005 pour 53 millions de livres par Nanjing Automobile, le plus ancien constructeur chinois né en 1947, et qui vient de fusionner avec Saic.

Souvenons-nous des premières livraisons coréennes qui faisaient sourire il y a quelques années, et regardons aujourd’hui les résultats de Hyundai et de Kia, deux marques qui se sont considérablement adaptées aux critères européens afin de pénétrer avec succès nos marchés. Pourquoi voulez-vous que les Chinois, avec une puissance de feu énormément supérieure à celle des Coréens, ne parviennent pas à les imiter, notamment grâce à des tarifs défiant toute concurrence ?

L’industrie automobile chinoise est en train de mettre un pied dans la porte, il ne fait guère de doute que la suite sera une impitoyable guerre commerciale, une guerre qui pourrait encore faire des victimes sur le Vieux Continent où les réserves de cash font défaut chez certains… car perdant des milliards d’euros chaque année.

 

Comment réagir ?

En produisant la Logan, la Sandéro et le Duster, Renault a voulu pénétrer des marchés émergents avec sa marque Dacia rachetée à la Roumanie. Ce qui n’était pas prévu, ou du moins pas avoué au milieu de cette décennie, c’est le succès de Dacia en Europe Occidentale, la marque caracole en tête des ventes en France. Mais ce low cost flirte quand même avec les 10.000 euros pour une auto équipée comme il y a dix ans. Comment arrêterons-nous des propositions à 5.000 euros pour l’équivalent venu de Chine, peut-être même mieux équipé qu’une Logan ?

L’an passé, nos constructeurs nationaux, Renault et PSA, ont perdu de l’argent, plus de 3 milliards pour le premier. Cette mauvaise passe aurait tort de se répéter les prochaines années. Quand on sait que Volvo a été racheté pour la moitié du déficit enregistré par Renault en 2009, on peut s’attendre à tout. C’est le cash, les fonds propres qui permettent à un constructeur d’exister, d’innover et de réagir face aux offensives de la concurrence, d’où qu’elle vienne. 

Certes des accords ont été signés, PSA et China Changan sont à 50/50 pour le développement de véhicules utilitaires légers, certes Renault a exporté 3.000 Koleos en Chine en 2009 et désire construire des véhicules haut de gamme là-bas dès 2013 (alors que ce créneau est abandonné par le Français ici en Europe !), certes Citroën produit des modèles spécifiques pour ce marché (C-Triumph, C-Elysées et le concept Metropolis), mais en 2009, les marques françaises étaient à – 3% sur un marché chinois qui progresse quasiment de 50% d’une année sur l’autre (+ 48% en glissement annuel pour 2010)… alors que BMW annonce + 38% en 2009 avec plus de 90.000 voitures vendues sur place, tout comme Audi qui fait un carton de l’autre côté de la Grande Muraille.

Constat ? Ce sont nos autos plutôt haut de gamme (voire très haut de gamme) qui intéressent les Chinois, et sur ce terrain-là, Audi, BMW, Mercedes, Porsche et même Volkswagen avec Phaeton et Touareg jouent pleinement leur rôle auprès d’une population aisée qui désire s’offrir le luxe occidental, population en constante expansion depuis que la Chine a rejoint l’OMC en 2001 pour passer à l’économie socialiste de marché. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment pris garde à ce bouleversement mondial en devenir à l’époque.

Pour les constructeurs français, le challenge est  clair : comment endiguer cette invasion prévisible de modèles chinois qui viendront occuper une place de choix sur notre marché, celui des petites autos pas chères, déjà trop chères par rapport aux leurs, ou comment compenser ailleurs, en Amérique du Sud, en Russie, en Inde, en vendant sur ces territoires ce que nous ne vendrons plus chez nous ?

Les temps des affaires de plagiat, de véhicules recalés et de modèles oscillant entre laid et moche sont derrière nous, et si nous avons encore quelques années pour voir venir, n’oublions pas l’extraordinaire puissance de feu de ce pays d’1,3 milliard d’habitants dont les besoins de consommation sont considérables. Et on le sait, pour développer un marché intérieur il faut être conquérant sur les marchés extérieurs, c’est exactement ce que nous avons oublié ces vingt dernières années, perdant petit à petit des pans entiers de notre industrie, celle qui ramenait des devises. Il n’est donc pas difficile de comprendre que la bataille risque d’être inégale.

 

L’automobile en Chine : repères

Il est loin le temps où Buick ouvrait en 1929 un bureau à Shanghai, se targuant de représenter 40% du parc auto en 1940, tout comme le jour où Henry Ford s’en alla en Chine pour ouvrir une usine… qu’il fera au Japon !

En fait, c’est au milieu du 20e siècle, que l’histoire commence avec le premier plan quinquennal de 1950 qui met l’automobile à l’ordre du jour. En 1953, quelque 10.000 ouvriers et ingénieurs sont mobilisés pour mettre en chantier la première grande usine automobile à Changchun, l’usine N°652 qui deviendra « Cité Automobile Mao Zedung ». Le premier autocar sortira des chaînes le 13 juillet 1956.

Quant au chef suprême, qui roulait alors en ZIS (firme qui deviendra ZIL par la suite), une auto offerte par le camarade Staline, il devra attendre 1958 pour avoir sa limousine de luxe chinoise, une Hong Qi ou Drapeau Rouge (unité de luxe du Groupe Faw)… aujourd’hui le chef d’Etat chinois se promène en Audi A8 blindée !

Des accords avec l’URSS permirent à l’époque des transferts de technologie, ils se feront avec le Japon au cours des années 80.

En 1962 fut créé le premier bureau d’études automobile, mais la Révolution Culturelle va tout flinguer, et c’est seulement à partir de 1978, grâce à la politique d’ouverture de Deng Xiao Ping, que l’industrie automobile reprendra goût à la vie. Mais de manière étatisée avec une production lourde, des constructeurs locaux qui fragmenteront le marché, et surtout peu d’investissements et de recherche. On l’a dit, le parc était alors de 1,3 million d’unités, il sera proche des 100 millions à la fin de cette année. Le pays de la bicyclette est en train de changer de braquet, là encore la Chine s’est éveillée et le monde est en train de trembler !

 

Jean-Yves Curtaud

12/2010

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