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Chypre ou le souvenir d’Aphrodite

15/03/2010
L’Europe a un problème avec cette île à cause d’une délicate affaire d’occupation militaire d’une partie du territoire de ce bout de Moyen Orient qui mouille dans les eaux de la Communauté Européenne depuis 2004. Les plus optimistes souligneront que, des Phéniciens d’avant notre ère aux Grecs, Turcs et Britanniques du 20e siècle, envahir Chypre ne fut finalement, aux yeux de l’histoire, que d’une terrifiante banalité…

Une épine pour l’Union Européenne
Alors, que faut-il faire du trésor de Kouriou, du vase d’Amathonte et du sanctuaire vénéré au culte d’Aphrodite de Kouklia où se dressent les ruines d’un temple détruit du 4e siècle par un tremblement de terre, envahisseur éphémère ? Et l’inventaire pourrait s’étendre aux mosaïques de Pafos, aux maisons de Dyonisos et Thésée, et aux remparts de Nicosie montés par les Vénitiens. Sans verser dans le genre tour opérateur, on admettra que cette île peuplée par moins de 800.000 habitants, la troisième après la Sicile et la Sardaigne en Méditerranée avec ses 9.250 km² et 648 km de côtes, est plus qu’un lieu de rencontre entre l’Orient et l’Occident générant, à une moindre échelle, les mêmes conflits  qu’en d’autres endroits beaucoup plus stratégiques, elle est avant tout un témoignage exceptionnel par une superposition de couches successives de civilisations et de systèmes politiques et économiques au fil des siècles.
Phéniciens, Egyptiens, Perses ont écrit les premiers chapitres du Grand Livre, Alexandre s’y est arrêté, les Arabes l’arrachèrent aux Grecs, les Vénitiens en firent une base arrière commerciale, avant que les Turcs ne débarquent une première fois en 1570, comme quoi dresser des remparts n’est pas forcément une garantie totale. Ces mêmes Turcs reviendront, tout comme les Grecs, et voilà bien l’épine dans le pied méditerranéen de l’Union Européenne. En 1974, les Colonels au pouvoir à Athènes débarquent le Président Makarios parce qu’il avait exigé le départ des officiers grecs de l’île, et malgré la présence de quelque 2400 soldats de l’ONU, l’armée turque va en profiter pour envahir la partie Nord de Chypre, le 20 juillet : quatre jours plus tard, le régime des Colonels était renversé !
Et depuis 1974, rien ne tourne rond à Nicosie, aujourd’hui seule capitale européenne à être divisée par un mur, même si quelques brèches entre zones grecques et turques ont été ouvertes depuis 2008, notamment dans la célèbre rue Lidras. En fait, on parle ici de « ligne verte », infranchissable jusqu’en 2003, ligne séparant la République de Chypre née en 1959 avec Makarios III, de la République Turque de Chypre du Nord issue de la partition de 1983. Et rien n’a vraiment évolué depuis l’adhésion de Chypre à l’Union Européenne en 2004 (et à la zone Euro en 2008), et depuis le plan de l’ONU pour la réunification, plan rejeté par les Grecs et accepté par les Turcs de l’île à l’occasion d’un double référendum.
Aujourd’hui, les institutions internationales reconnaissent la partie grecque de Chypre, la partie turque n’étant reconnue que par le pouvoir d’Ankara… lui-même fortement engagé dans un processus d’adhésion à l’Union Européenne. D’où aussi l’embarras du gouvernement turc face au nationaliste Eroglou, chef de l’UBP, qui a gagné les législatives anticipées en avril dernier à Chypre Nord, réclamant désormais la partition totale de l’île, s’appuyant sur le vote des colons (turcs) qui représenteraient 100.000 des 160.000 votants. Car Chypre a ses colons, Turcs du Sud partis au Nord, Grecs du Nord exilés au Sud. Et tout ça on l’a dit, sur seulement 9.250 km², soit un territoire en gros 60 fois plus petit que la France !

Les 50 ans d’un traité et de la présidence Makarios
Tout est affaire de prix paraît-il. On sait que Richard Cœur de Lion, de passage dans la région avec sa flotte emmenant les croisés en Terre Sainte, vendit l’île pour 400.000 besants d’or aux Templiers, ce qui était à une pièce byzantine près, le montant de la rançon que ces mêmes Templiers devaient réunir pour faire libérer Saint-Louis prisonnier en Egypte depuis la 7e croisade. Comme quoi on ne fait pas toujours de bonnes affaires ! D’ailleurs, ne pouvant payer cette somme, ils cédèrent Chypre à la famille de Lusignan qui règnera ici jusqu’en 1489. Tout est affaire de prix, c’est aussi ce que pensaient les Britanniques, présents sur l’île depuis 1878, et qui annexèrent le territoire en novembre 1914 pour cause de guerre avec la Turquie, et proposant aussitôt un marché aux Grecs : entrez en guerre à nos côtés et les 9.250 km² sont à vous… Chypre et la Grèce, voilà une idée qui va perdurer et nous mener à la révolte menée par l’Archevêque en 1948, et au plébiscite de janvier 1950 faisant résonner un « dictatorial » 95% pour l’union de Chypre avec la Grèce.
Ces conflits larvés aboutiront logiquement à la lutte armée et à la première bombe en avril 1955 : Makarios est exilé aux Seychelles jusqu’en 1957.
Deux ans plus tard, en 1959, on le retrouvera à la tête d’une nouvelle république, juste après que le Traité de Zurich de février exclût tout partage de l’île, traité qui prenait le contre-pied de celui de Lausanne qui, en 1923, régularisait l’annexion par les Britanniques. Monseigneur Makarios, qu’on appelait l’Ethnarque parce qu’à la fois Archevêque et Président, est élu Président de la République de Chypre en décembre 1959, il sera réélu en 1968 (97% des suffrages !) et en 1973, Président jusqu’à sa mort en 1977. Nonobstant ses faux airs de « Castro de la Méditerranée » comme le surnommaient les Américains, peut-être parce qu’il participa à la conférence des pays non alignés chez Tito à Belgrade en 1961, il fut un fervent défenseur et acteur de l’entente entre Grecs (environ 75% de la population), Turcs (20%)… et Britanniques, les mêmes qui l’avaient exilé pour « complicité de terrorisme ».

Aphrodite européenne
La déesse grecque de l’amour et de la beauté, fille de Zeus et Dioné, a-t-elle encore un soupçon de pouvoir, dans la lignée des Amasis, Cimon, Alexandre, Démétrios, Antoine ou Auguste pour arriver à mettre dans le bon sens de l’histoire les successeurs de Makarios, Demetris Christofias, Mehmet Ali Talat, et autres représentants des différentes mouvances politiques, AKEL, UBP, Rassemblement Démocratique, Parti Démocrate, Parti Européen ? Rappelons que Chypre a droit à six députés européens (soit plus que la France ou l’Allemagne proportionnellement à la population !), mais que les lois communautaires ne concernent que la partie grecque de l’île. Et d’ailleurs, comme par hasard, la question de la participation de Chypre au partenariat pour la paix de l’OTAN fut bien présente durant la campagne européenne de juin dernier.
On dit que l’avenir de Chypre est peut-être le verrou qui permettra à la Turquie d’entrer dans l’Union Européenne, mais pour le faire sauter, faut-il encore qu’il y ait des deux côtés du Mur (ou de la Ligne Verte) une véritable volonté de sortir de cette imbroglio politico-militaire qui fait désordre chez les 27.
On dit que le soleil brille 340 jours par an sur l’île. Des monatères de Kykkos et d’Ayia Napa, au fort médiéval de Pafos, ou encore simplement sous les remparts de Nicosie, d’expérience, on sait qu’il ne sert à rien d’attendre encore des jours meilleurs alors qu’on a le meilleur autour de soi : l’Histoire, la terre, la mer… et ce soleil en villégiature à l’année ! Entre nous, ce que les Allemands de l’Est, ainsi que les autres républiques de l’ex-bloc soviétique ont réussi il y a vingt ans sans effusion de sang, mérite peut-être que ce petit bout de terre réfléchisse à une solution apaisée et démocratique pour l’ensemble de sa population. C’est aussi le rôle de l’Europe de travailler en ce sens, pourquoi pas avec l’aide d’Aphrodite…
 
Pour info
Office du Tourisme de Chypre
15, rue de la paix, 75002 Paris
01 42 61 42 49
cto.chypre-paris@wanadoo.fr

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