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Du Taylorisme à la mondialisation, quand l’industrie change son jeu…

05/07/2010
Industrie : « ensemble des activités, des métiers qui produisent des richesses par la mise en œuvre des matières premières. » Définition par Larousse, est-il encore temps de parler de notre industrie et d’organiser ses Etats Généraux en conclusion desquels le Président de la République a rappelé, chez Eurocopter à Marignane, toute l’importance de ce secteur en constante perte d’identité en France.
On le sait, mais il est toujours utile de le rappeler, l’industrie est le cœur du développement économique d’un pays. A trop vouloir surfer sur la vague des services, nous avons oublié que pour créer de la richesse il faut exporter. Nos déficits chroniques du commerce extérieur face aux excédents allemands (244 milliards de dollars en 2009) nous rappellent que nos bases économiques ne sont pas tout à fait identiques. En clair, ils fabriquent encore chez eux ce que nous faisons faire à l’étranger et que nous importons ensuite. Constat d’échec ?... et retour sur une fabuleuse aventure.

Des manufactures royales au chemin de fer
Certes, ces manufactures étaient marginales. On dira que toute l’industrie fut plutôt marginale jusqu’à l’aube du 19e siècle. Hormis le tissage des draps dès le 15e siècle en Angleterre et en Flandre, et les efforts, en France, initiés par Colbert pour favoriser la production dite industrielle, il faudra attendre que le Romantisme s’essouffle au milieu du 19e siècle (ce qui n’a rien à voir !) pour assister à la première révolution industrielle dont l’emblème pourrait être la machine à vapeur, présente dans nombre de secteurs.
Au cours de ce siècle N°19, la production mondiale a augmenté d’environ 1% chaque année, et le PIB moyen fut majoré de moitié en cent ans, ce qui, pour l’époque, était une sacrée performance. Textile, métallurgie, sidérurgie, industrie chimique et surtout l’implantation quasi généralisée du chemin de fer permettront à la France de s’enrichir considérablement. La France, pas forcément les ouvriers.
Une société à dominantes agraire et artisanale devenait commerciale et industrielle, ce qui entraîna de profondes mutations socio-économiques. Des mines aux hauts-fourneaux, l’industrie tournait à bloc, et la création des sociétés anonymes (S.A.) allait favoriser les apports de capitaux nécessaires à cette expansion.

De la « Belle Epoque »
De 1870 à la première Guerre Mondiale, tout va s’emballer. Parmi les 500 plus grandes entreprises européennes, 80% sont nées durant cette période qu’on appelait la Belle Epoque : Renault, Bosch, Rolex, Air Liquide, Peugeot, Michelin, Blédina… ainsi que les grandes banques de dépôts comme la Société Générale, le Crédit Lyonnais, le Crédit Industriel et Commercial, c’est aussi l’époque de l’ouverture des marchés vers la Chine, le Japon, ou encore les nouvelles colonies d’un Empire à bâtir.
Les conditions de vie des ouvriers évolueront énormément de 1850 à 1939, ils s’organisent et surtout obtiennent des droits : droit de grève en 1864, droit syndical en 1884, journée de travail de 12 heures par jour en 1892, puis 10 heures en 1900, loi sur le repos hebdomadaire en 1907, sur les assurances sociales en 1919, et semaine de 40 heures et congés payés en 1936.
A coups de luttes on s’éloignait du roman de Zola « L’Assommoir » (publié en 1877), « le premier roman sur le peuple qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple » écrira son auteur.

La charnière des années 60…

Mais après la seconde Guerre Mondiale, la reconstruction verra aussi la vieille société rurale et boutiquière devenir en peu d’années une société industrielle moderne. On s’installait avec un certain régal dans la croissance, et ce grâce en partie aux gains de productivité : en 1958, une « gueule noire » extrait 1.685 kilos de charbon par jour, en 1968, il en fait 2.280 kilos. A partir du milieu des années 60, avec le Plan, les pouvoirs publics encouragent les concentrations et fusions d’entreprises, c’est le temps des restructurations de pans entiers de notre économie. Des fusions qui parfois aboutiront à des fermetures de sites.
Mais si en 1968, un ouvrier sur cinq est payé au SMIG (environ 355 francs/mois), et que 75% d’entre eux perçoivent de 500 à 1200 francs/mois, durant vingt ans, de 1958 à 1978, le pouvoir d’achat du salaire horaire d’un ouvrier augmentera de 4,3% par an. Signe des temps encore, les journées de grèves fondent à chaque décennie : 5,5 millions de 1948 à 1957, seulement 2,4 millions de 1958 à 1967. Le prolétariat né au 19e siècle, condamné aux tâches répétitives, est en grain de voler en éclats. Et même si l’île Seguin reste le symbole de la France des usines avec ses 22.337 ouvriers de Billancourt, le démantèlement est dans l’air…

L’après Trente Glorieuses
La France sans usines, les emplois propres, modernes, on aurait presque dit « dignes », c’était la frime des années 70 et 80. On allait voir ce qu’on allait voir : les pays émergents produiraient des biens de consommation qu’on achèterait pas cher, et nous ferions dans la technologie sophistiquée, de la Sillicon Valley à la périphérie de chaque ville de France, et bien sûr des services en veux-tu en voilà.
Mais depuis, et souvent très vite, les « émergents » ont appris et ils nous vendent désormais tout ce dont nous avons besoin, alors que nous n’avons plus grand-chose à leur fourguer. Constat amer, l’industrie est de moins en moins présente dans l’emploi et la richesse produite. En 1950, 30% des emplois salariés se trouvaient dans le secteur industriel contre moins de 12% aujourd’hui, et la part de la valeur ajoutée dans la richesse totale a été divisée par deux dans le même temps.
« La seule usine qui marche bien en France, c’est l’usine à promesses » ironisait Laurent Fabius après l’intervention de Nicolas Sarkozy le 4 mars dernier en conclusion des Etats Généraux de l’Industrie. Nous n’entrerons pas dans le débat politico-politicien des promesses qui ne nous regarde pas ici, mais Monsieur Fabius semble avoir des absences de mémoire, car alors qu’il était Premier Ministre au milieu des années 80, il a bien laissé (lui aussi) filer des pans entiers de ce secteur. On pourrait rappeler les 15.000 emplois supprimés chez Renault dont le déficit était passé de 700 millions de francs en 1981 à 11 milliards en 1985, l’Etat ayant même accordé deux milliards au constructeur afin qu’il accélérât l’automatisation de sa production. Il fallait dégraisser d’urgence pour sauver Billancourt !
C’est après ces fameuses Trente Glorieuses que la classe ouvrière a fondu à coups de restructurations, et donc de chômage, et ce après les chocs pétroliers des années 70 et l’arrivée de l’informatique démocratisée. Entre 1982 et 1990, l’industrie perdra 850.000 emplois, mines, sidérurgie, métallurgie, textile, construction navale, automobile… tous les secteurs virent au rouge.

De LIP à Siemens

Le symbole, ce fut bien sûr LIP à Besançon en 1973. Une fermeture annoncée qui allait émouvoir toute la France, un peu comme un réveil après une gueule de bois. Une France ouvrière qui représentait 40% de la population active entre 1960 et 1970, pour n’être plus qu’à 28% en 1990. L’espoir né avec l’arrivée d’un gouvernement de gauche en 1981 fut de courte durée. La troisième révolution industrielle ou révolution informatique, ne ferait pas de prisonniers : l’homme ne fabrique plus, c’est la grande rupture dans le processus de production, les grandes usines sont démantelées, place aux robots. Cette révolution informatique des microprocesseurs, des ordinateurs de bureau et de l’Internet produira une progression des inégalités, les plus démunis intellectuellement seront vite exclus d’un monde en pleine mutation socio-industrielle. Même la manutention de base n’aura plus besoin des mains de l’homme.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la mondialisation s’est invitée au festin pour un coup de grâce : charbon, acier, textile, mécanique, imprimerie, industrie navale, des paysages industriels entiers disparaîtront, en Lorraine, dans le Nord, en Basse Loire, dans le Sud-Est. Et la chute sera parfois vertigineuse, de LIP à Siemens aujourd’hui, en passant par les sites d’assemblage automobile ou encore, autre exemple, l’anéantissement du fleuron de Romans, les fabriques de chaussures.
De plus, pour la première fois il ne s’agissait pas de l’arrêt d’une industrie obsolète parce que ne correspondant plus aux goûts ou aux habitudes du moment, mais de transferts de technologies, de savoir-faire et de « pouvoir faire » ailleurs, souvent très loin, là où c’était bon marché à produire. Et ce n’est pas terminé. Ah ! bien sûr, l’Etat peut décider d’apporter 800 millions ici, ou encore deux milliards ailleurs, mais que va-t-on sauver et pour combien de temps ?
« Si nous répandons beaucoup d’argent, cet argent se dépense » aimait répéter Henry Ford au début du 20e siècle. Mais il parlait d’argent gagné par le travail, non pas par des subventions qui ne sont que de l’aspirine pour soigner un cancer. Il faut vendre pour acheter ce que nous ne produisons pas. Or ce ne sont pas les services et le tourisme qui feront rentrer les milliards dont nous avons besoin. N’oublions pas que les entreprises industrielles génèrent d’autres emplois, de la sous-traitance, de la restauration collective, du transport, de l’informatique et de la bureautique, du nettoyage, de la publicité… les services aux entreprises ont vu leurs effectifs multipliés par quatre en 50 ans, mais ce sont des emplois qui disparaissent vite au moment d’une grave crise. On vient de s’en apercevoir en 2009 avec plus de 50.000 emplois perdus dans le seul secteur automobile, dont une grosse majorité dans la sous-traitance et les services.

La France des usines
Au total, 428 sites industriels ont fermé en France l’an passé, tuant 92.000 emplois.
« Qu’on aille fabriquer des voitures à l’extérieur pour les ramener en France, je ne l’accepte pas » déclarait à Marignane le Président de la République. Deux doigts de Marseillaise et les troupes sont galvanisées, on ne se laissera plus faire ! Mais enfin, soyons sérieux un moment. Le Président faisait référence à la fameuse Clio 4 qui sera fabriquée en Turquie pour 1.400 € de moins qu’à Flins : 400 € d’écart de salaire entre l’ouvrier turc et le français (ce qui n’est pas énorme ramené à une auto), 250 € de taxe professionnelle que Monsieur Estrosi a promis de faire disparaître, mais 750 € de charges en plus, ce qui est énorme, quasiment deux fois l’écart de salaire. Et voilà bien le vrai problème ! Taxer trop le travail fait partir le travail. C’est cela que le Président de la République ne devrait pas accepter. Mais comment faire dans un pays qui a tout misé (et le mot est juste) sur les services publics et la création d’emplois de fonctionnaires. Ne riez pas, on a multiplié leur nombre par deux depuis 1980.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy désire voir la production industrielle augmenter de 25% d’ici à 2015. Pour ce faire, 5,5 milliards d’euros iront aux entreprises innovantes et aux transports. Mais 2015 c’est déjà demain.
« Ensemble des activités, des métiers qui produisent des richesses par la mise en œuvre des matières premières »… un rappel à mi-chemin de la définition de l’industrie. Qu’allons-nous produire (25% en plus) d’ici à 2015 ? Des vêtements, des boulons en acier, des autos électriques, des jouets ? Les TGV, centrales nucléaires et autres Airbus ne suffiront pas à combler les énormes déficits actuels.
Comment pourra-t-on sauver, à long terme, Molex, Heuliez, Philips, Siemens et nombre d’autres enseignes qui, pour certaines, ne sont même pas nationales ? On peut toujours annoncer qu’un représentant du Ministère de l’Industrie sera nommé au conseil d’administration des entreprises où l’Etat a une participation, mais cela représente combien de sociétés ? Qui cela va-t-il rassurer ?
La France compte un peu moins de 4.000 sites de production de plus de 80 salariés. C’est trop peu. Lorsque la récession arrive, elle pèse lourdement sur l’emploi industriel : 141.000 postes perdus en 2008, 192.000 au cours du premier trimestre 2009, 114.000 au deuxième trimestre. Il est vrai aussi que le volume de travail a baissé quasiment dans tous les secteurs en 2008 et 2009.

Savoir expliquer sur le fond…
La droite a un énorme déficit de communication sur la réalité de notre situation. Et ce n’est pas nouveau, un déficit qui permet à la gauche de surfer sur la nostalgie d’un temps où la France des usines représentait quelque chose de réel, de concret : l’ouvrier se sentait acteur du développement économique, la « désouvriérisation » de l’industrie a annihilé cette identité. Pourtant, à droite comme à gauche chacun sait qu’il n’y avait rien à faire face à la machine de guerre de la mondialisation… rien sauf peut-être arrêter la démagogie et les promesses électorales : depuis trente ans, on a donné sans compter pour s’apercevoir, hélas un peu tard, que nous vivons très au-dessus des moyens de notre époque : embauches massives dans les services publics, notamment au sein des collectivités (là où l’élu peut tenir une promesse de proximité), développement de ceux-ci (contrairement à ce qu’on entend dire quotidiennement), aides en couches successives, dépenses tous azimuts « pour faire joli », et tout ceci financé à chaque fois par des taxes et des charges qui tuent à coup sûr notre tissu industriel : nous coûtons trop cher parce que nous vivons au-dessus de nos moyens !
D’où la nécessité d’un remède : existe-t-il docteur ?
La question sera plus directe : sommes-nous prêts à abandonner une partie de nos acquis ? Il ne s’agit plus de savoir à quel prix nous allons vendre, si on peut faire une marge là où il n’y a pas la place, ou si on peut imposer, par décret, un minimum de ceci ou de cela. Marcel Bich, fondateur de la célèbre marque BIC, rappelait cette évidence que nous avons pourtant oubliée : « On ne tient pas le prix du bœuf en contrôlant les bouchers, on tient le prix du bœuf en produisant le bœuf. » Alors produisons et vendons ! Mais pour produire et vendre la production, il ne faut pas proposer des tarifs prohibitifs. Prenez l’automobile : il y a dix ans, les coûts horaires en France étaient inférieurs de 20% aux coûts de l’Allemagne. Aujourd’hui, ils sont 400 € plus élevés en France pour un véhicule moyen produit. C’est bien sûr sur les charges que nous devons travailler, ce que nous ne pouvons pas faire puisqu’apparemment nous sommes trop stupides. Nous préférons couler au lieu de nous alléger de quelques acquis… acquis dans un autre monde, celui où les émergents n’avaient pas émergés. Mais ça aussi nous ne voulons pas l’admettre.
Le Taylorisme mondialisé
Appliqué dans tous les grands pays industrialisés à la fin du 19e siècle et au début du 20e, le Taylorisme a aujourd’hui ouvert des franchises sur tous les continents, engendrant du même coup des cessations d’activités chez nous. Imposé à notre industrie il nous a enrichis collectivement, mais le miracle de la technologie, la révolution informatique et la nouvelle concurrence l’ont rendu quasi-obsolète. A quoi peut-il donc servir là où il n’y a plus rien à fabriquer ?
Nous avons survécu au machinisme avec ses mécanismes asservis à des commandes automatisées, le travail passait alors du côté du contrôle et de la maintenance des programmes, mais la seconde secousse, celle faisant suite à la perte par l’URSS de son glacis européen à partir des années 90, nous fit mettre un genou en terre car nombre d’eldorados à l’Est nous tendaient les bras pleins de promesses d’argent à gagner, et enfin l’ouverture de la Grande Muraille après le « petit Mur » nous a carrément mis à terre !
Les Etats Généraux de l’Industrie auront peut-être permis de constater l’état général de notre industrie. Quant aux remèdes, c’est une autre histoire beaucoup plus politique qu’économique…

Jean-Yves Curtaud

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