Dans l’imaginaire collectif, les berlines sportives ont souvent une gueule d’Allemande : rigueur, efficacité, sobriété. Mais avant que ce trio ne s’impose, une autre école faisait rêver les passionnés : celle d’Alfa Romeo. Et parmi les modèles qui ont façonné cette réputation, la Giulietta des années 70 occupe une place à part. Une compacte nerveuse, pratique au quotidien, mais avec ce supplément d’âme que seules les Italiennes savent offrir.
Alors, comment cette Alfa Romeo Giulietta a-t-elle marqué l’histoire des berlines sportives ? Et qu’est-ce que cette auto des seventies peut encore nous apprendre aujourd’hui, à l’heure de l’électrification et des ZFE ?
Une berline née à une époque charnière
Pour comprendre la Giulietta des années 70, il faut la replacer dans son contexte. En 1977, Alfa Romeo présente une nouvelle berline compacte, qui reprendra un nom déjà célèbre dans l’histoire de la marque : Giulietta. Elle prendra progressivement la relève de l’Alfetta sur certains marchés, avec un positionnement plus accessible, plus urbain, mais toujours sportif.
Le cahier des charges est clair :
- proposer une berline familiale, utilisable au quotidien ;
- garder la signature sportive d’Alfa Romeo, notamment via les moteurs et le châssis ;
- se distinguer stylistiquement de la concurrence allemande et française, jugée trop sage.
À l’époque, le paysage automobile change : premiers chocs pétroliers, prise de conscience progressive des consommations, début des normes antipollution, mais aussi arrivée en force des tractions avant plus rationnelles. Alfa, fidèle à sa philosophie, va pourtant continuer à faire les choses à sa manière.
Un design typiquement italien : tranché, assumé, reconnaissable
La Giulietta des années 70 ne ressemble à aucune autre berline. Elle affiche des lignes anguleuses, presque brutalistes, très différentes des courbes de la Giulietta des années 50, mais tout aussi marquantes.
On retrouve :
- un capot long et plongeant, qui met en valeur le quatre-cylindres double arbre ;
- un arrière tronqué, avec une malle courte et quasi verticale, optimisée pour l’espace et l’aérodynamique (dans l’esprit de l’époque) ;
- une calandre typiquement Alfa : le fameux « scudetto » en forme de bouclier, encadré par des phares ronds ou doubles selon les versions.
Ce design ne cherche pas à plaire à tout le monde. Il cherche à imposer une personnalité forte, quitte à diviser. Mais c’est justement pour ça que la Giulietta a marqué son temps : on la reconnaît instantanément. Combien de berlines modernes peuvent en dire autant ?
Dans les rues des années 80, coincée entre les Renault 18, Ford Taunus et autres berlines très rectilignes mais sans relief, la Giulietta ajoute une touche de caractère. Elle assume sa différence, et c’est aussi ce qui en fait aujourd’hui un youngtimer recherché.
Un moteur qui fait tout le sel de l’expérience
Là où Alfa Romeo se démarque franchement, c’est sous le capot. La Giulietta de cette époque profite du légendaire quatre-cylindres double arbre en tête, en alliage léger, déjà bien connu des Alfistes. Ce moteur est au cœur de la philosophie Alfa : un bloc conçu par des passionnés, pour des passionnés.
Les caractéristiques marquantes :
- distribution à double arbre à cames en tête, rare sur des berlines de grande série à l’époque ;
- alimentation par carburateurs (Weber, pour les connaisseurs), offrant un caractère très vivant ;
- puissances allant, selon les versions, d’environ 95 à plus de 130 ch, ce qui était très respectable pour une compacte familiale de son temps ;
- une sonorité typiquement Alfa, métallique et envoûtante dès que l’aiguille du compte-tours grimpe.
On n’est pas dans le moteur anémique d’une berline d’entrée de gamme. La Giulietta apporte une véritable dimension sportive, accessible au conducteur lambda. Vous avez besoin d’emmener la famille ? Pas de problème. Vous voulez profiter d’un col le dimanche matin ? La voiture est prête.
C’est cette dualité, entre pratique et passion, qui va influencer toute une génération de berlines sportives : des autos capables de tout faire, sans exiger de compromis extrêmes.
Un châssis pensé pour le plaisir de conduite
Alfa Romeo ne s’est pas contenté de mettre un bon moteur dans une caisse quelconque. La Giulietta repose sur une base technique soignée, héritée en partie de l’Alfetta, avec une architecture très orientée « plaisir de conduite ».
Parmi les choix techniques marquants :
- boîte de vitesses à l’arrière (architecture transaxle sur certaines configurations), pour une meilleure répartition des masses ;
- pont De Dion à l’arrière, offrant un compromis intéressant entre confort et tenue de route ;
- direction précise, bien plus communicative que la moyenne de la production de l’époque.
Résultat : la Giulietta propose un comportement routier joueur, mais sain. La voiture aime être emmenée à bon rythme, et le conducteur est constamment impliqué. À une époque où l’électronique n’est pas là pour rattraper les excès, tout repose sur l’équilibre du châssis… et le bon sens du conducteur.
Cet équilibre mécanique, c’est l’ancêtre spirituel de ce que l’on appelle aujourd’hui les « compactes sportives » : des voitures polyvalentes, taillées pour avaler de la borne tout en offrant un réel plaisir de conduite, loin des SUV surélevés et aseptisés qui dominent aujourd’hui le marché.
Une autre vision de la berline sportive
Face à elle, que trouve-t-on à l’époque ? Des BMW Série 3 E21 puis E30, des Audi 80, des Ford Cortina ou Sierra, des Peugeot 505 selon les marchés. Beaucoup de modèles sérieux, bien conçus, mais souvent plus conservateurs dans leur approche.
La Giulietta, elle, prend un chemin différent :
- plus de caractère moteur, au détriment parfois de la fiabilité perçue ;
- un design moins consensuel, mais plus émotionnel ;
- une position de conduite et une ergonomie typiquement italiennes : parfois déroutantes, mais faites pour le conducteur.
Ce positionnement va inspirer de nombreuses berlines sportives par la suite : offrir une expérience, et pas seulement des chiffres sur une fiche technique. Quand on regarde aujourd’hui une Alfa 156, une BMW M3 E30, ou même certaines Lancia Thema ou Saab 900, on retrouve cette idée : la berline ne doit pas être un simple outil, elle peut être un objet de passion.
Entre passion mécanique et pragmatisme moderne
Vu depuis 2025, la Giulietta des années 70 semble venir d’un autre monde. Pas d’ESP, pas d’airbags multiples, zéro aide à la conduite sophistiquée, une sécurité active et passive bien inférieure aux standards actuels, un appétit en carburant qui n’a rien de frugal par rapport à une compacte hybride moderne.
Pourtant, elle pose une question intéressante : comment concilier plaisir mécanique et responsabilité environnementale ?
Évidemment, rouler tous les jours en Giulietta carburateurs en ville n’a rien d’un geste vert. Mais :
- la durée de vie de ces véhicules, quand ils sont entretenus, est impressionnante ;
- un véhicule ancien préservé et utilisé avec parcimonie peut avoir un impact environnemental global pas forcément pire qu’une succession de véhicules neufs sur-équipés qui finissent parfois au rebut prématurément ;
- la restauration et l’entretien de ces autos entretiennent un savoir-faire mécanique local, plutôt qu’une logique de remplacement systématique.
Appliqué à la Giulietta, ça donne une approche intéressante : la considérer comme un objet patrimonial roulant, qu’on sort ponctuellement, en complément d’un véhicule plus sobre et adapté aux contraintes actuelles. Le meilleur des deux mondes, en somme.
Ce que la Giulietta a légué aux berlines sportives modernes
La Giulietta des années 70 a semé plusieurs graines que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les berlines et compactes sportives :
- La double personnalité : être capable d’emporter la famille le matin, et de mettre un sourire au conducteur le soir sur une départementale. C’est exactement l’ADN d’une BMW M340i, d’une Audi S4 ou d’une Alfa Giulia Veloce moderne.
- L’importance du caractère moteur : à l’heure des blocs turbo downsizés, la Giulietta nous rappelle qu’un moteur peut avoir une personnalité propre, une sonorité travaillée, une montée en régime qui raconte quelque chose. Certaines marques, comme Alfa, Mazda ou Honda, essaient encore de préserver cette dimension.
- Le style au service de l’identité : la Giulietta ne cherche pas à ressembler à tout le monde. Aujourd’hui, dans un océan de silhouettes similaires imposées par l’aérodynamique et les normes, on sent bien quand un constructeur ose encore une signature forte (Giulia, DS 9, certaines Volvo…).
- La légèreté comme alliée du dynamisme : loin des berlines modernes dépassant 1,7 tonne, la Giulietta prouve qu’une auto plus légère, moins suréquipée, peut offrir un plaisir de conduite intense avec une puissance finalement modeste.
En filigrane, cette Alfa rappelle que la performance ne se résume pas à un 0 à 100 km/h ou à un temps sur circuit. C’est aussi une question de sensations, de raccord entre les mains, le siège, les oreilles et le cerveau.
Giulietta 1970 : objet de collection… mais pas que
Sur le marché actuel, la Giulietta des années 70 est de plus en plus prisée par les amateurs de youngtimers, mais elle reste encore, dans bien des cas, plus abordable que certaines icônes surcotées.
Pourquoi elle attire toujours autant :
- elle permet de goûter à la vraie « expérience Alfa » sans viser les modèles déjà hors de prix comme certaines coupés Bertone ;
- c’est une berline : donc plus habitable, plus pratique, avec un usage loisir-famille possible ;
- sa mécanique, bien qu’exigeante, est globalement connue et documentée, avec un réseau de spécialistes passionnés.
Évidemment, ce n’est pas une auto à prendre à la légère :
- la corrosion est un ennemi bien connu sur cette génération ;
- un double arbre en tête à carburateurs mal entretenu peut devenir un gouffre financièrement et mécaniquement ;
- les pièces se trouvent, mais souvent via des filières spécialisées, pas chez le premier centre auto venu.
Pour un passionné qui sait où il met les pieds, la Giulietta reste néanmoins une formidable porte d’entrée dans l’univers des anciennes sportives italiennes. Et une façon de donner une seconde (ou troisième) vie à une auto qui mérite largement d’être sauvée.
Que reste-t-il de l’esprit Giulietta aujourd’hui ?
Alfa Romeo a ressuscité le nom Giulietta dans les années 2010 pour une compacte moderne, traction avant, plus rationnelle, plus proche des standards généralistes. Une bonne voiture, mais qui ne portait plus tout à fait la même charge historique que sa devancière des années 70.
En réalité, l’héritière la plus spirituelle de cette Giulietta-là, c’est plutôt la Giulia actuelle : propulsion, moteurs expressifs (surtout en Quadrifoglio), design distinctif, et ce mélange de raison et de passion que peu de marques savent encore proposer.
Face aux enjeux actuels – émissions de CO₂, pollution urbaine, fin annoncée des moteurs thermiques purs à moyen terme – l’esprit de la Giulietta pose une question : comment conserver du caractère dans des voitures de plus en plus normées ?
Quelques pistes se dessinent :
- travailler davantage sur les sensations (direction, position de conduite, ressenti de la pédale) plutôt que sur la seule puissance ;
- réduire le poids au lieu d’accumuler les chevaux pour compenser ;
- assumer un style fort, même sur des véhicules électrifiés.
En clair, faire des voitures sobres et propres n’empêche pas de faire des voitures désirables. La Giulietta des années 70 en est une sorte de manifeste à retardement : sa technologie appartient au passé, mais sa philosophie reste étonnamment moderne.
Pourquoi cette icône italienne mérite toujours notre attention
En feuilletant l’histoire des berlines sportives, la Giulietta des années 70 n’est peut-être pas la plus connue, ni la plus puissante, ni la plus produite. Pourtant, elle coche plusieurs cases qui en font une pièce clé :
- elle a montré qu’une berline familiale pouvait être réellement passionnante à conduire ;
- elle a diffusé des solutions techniques ambitieuses sur un segment relativement accessible ;
- elle a imposé une identité forte face à une concurrence plus rationnelle mais aussi plus fade ;
- elle a contribué à façonner ce mythe un peu irrationnel : une Alfa, ça se vit plus que ça ne se possède.
Dans un monde automobile qui accélère vers l’électrification et l’uniformisation, se replonger dans l’histoire de cette Giulietta, c’est un peu comme ouvrir un vieux carnet de notes d’ingénieur passionné : on y trouve des idées parfois imparfaites, parfois fragiles, mais toujours audacieuses.
Et si l’avenir de la berline sportive, électrique ou hybride, consistait justement à retrouver cette audace-là ? À faire des autos qui ne plaisent pas forcément à tout le monde, mais qui marquent ceux qui les conduisent ? La Giulietta 1970, elle, a déjà répondu à cette question il y a plus de quarante ans.
