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1991, quand l’Europe a failli basculer dans la guerre

30/01/2012
Le 25 juin 1991, il y a pile vingt ans, la Croatie se déclarait indépendante du pouvoir de la Fédération Yougoslave, le 26 juin, elle était imitée par la Slovénie.
La Yougoslavie entrait en guerre contre elle-même, les six républiques fédérées en 1946 par Tito (Bosnie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie) allaient passer les huit années suivantes à s’entretuer devant les caméras du monde entier. Il s’agissait bien de la première guerre en Europe depuis 1945, une guerre qui aurait fait, selon les sources, entre 100.000 et 200.000 morts.

 

 

De Tito à la fin du Pacte de Varsovie

Durant 40 ans, le fédérateur suprême fut Josip Broz dit Tito, qui régna sans partage sur cette Yougoslavie, en tant que Premier Ministre et chef du parti communiste, et ce jusqu’à sa mort à Ljubljana en 1980. Une Yougoslavie elle-même née de la vente à la découpe en 1918 de l’illustre empire austro-hongrois, et qui fut dans un premier temps avec Pierre 1er de Serbie, Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, avant de devenir en 1929 le Royaume de Yougoslavie.

Tito disparu, la Fédération yougoslave allait survivre dix ans avant d’imploser en cette année 1991, comme un effet dominos conséquence de la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Le communisme déposait les armes, plus rien ne pouvait retenir les protagonistes d’un massacre annoncé. En interne on allait régler de vieux comptes non soldés, à l’extérieur chacun avait un pion à pousser. Durant la décennie des années 90, chacun trouverait dans ce conflit à tiroirs de quoi faire son marché : le Vatican en profitera pour faire sa fête à « l’orthodoxie » serbe, on penserait alors à Léon IX ou à Antioche, et fera même ami-ami avec les Musulmans d’Izetbegovic, les Etats-Unis soutiendront la Bosnie pour plaire à l’allié turc, les Allemands imagineront un nouveau land avec la Croatie, dont ils seront les premiers à reconnaître l’indépendance, l’Europe n’en finira plus de se prendre les pieds dans ce tapis yougoslave… alors que les Soviétiques, devenus Russes la même année, ne cacheront pas leur soutien à leurs frères serbes… tout comme la France de François Mitterrand avait du mal à « lâcher » Belgrade, l’allié historique, ce que Slobodan Milosevic ne manquera pas de nous rappeler.

 

Où étaient les lignes ?

En fait, la pensée occidentale a appréhendé ce conflit à travers un prisme déformé. Nous pensions alors avoir bien défini les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Mais ce qui pouvait être valable un jour et sur un territoire, ne l’était plus ailleurs le lendemain. Nous étions pour les Bosniaques et les Musulmans contre les Serbes, mais pouvions-nous soutenir les Croates, ex-Oustachis pro-nazis en 40, contre nos ex-alliés serbes. Et que faire lorsque les Macédoniens eurent des problèmes avec les Albanais du Kosovo ? Où passait la ligne ? Devions-nous également  soutenir nos amis allemands pressés de retrouver leur zone d’influence traditionnelle dans les Balkans, et ce au mépris de nos propres intérêts dans cette région, tout en sachant que leur position pouvait entraîner toute l’Europe dans un conflit ?

En 1991, le monde changeait de régime à une vitesse inimaginable deux ans plus tôt lors de la chute du Mur. Certes Lituanie, Estonie, Lettonie, Ukraine, Moldavie, Arménie, Biélorussie accédaient à l’indépendance avec plus ou moins l’approbation de l’ex-maison mère, pouvait-il en aller de même en Yougoslavie ? Avec un peu de temps peut-être, mais il ne fallait pas passer outre certains usages…

 

 

 

Chronologiquement…

Après de brefs affrontements au parc national de Plitvice en mars 1991, qui firent trois morts, c’est en Slovénie que le premier conflit armé se déroulera fin juin. Il sera bref, on l’appellera « la guerre des dix jours », les Slovènes seront victorieux. Quelques jours plus tard, le 19 juillet 1991, débutera la guerre entre Croates et Serbes. Du lourd. Les Serbes vivant en Croatie créent la République Serbe de Krajina, craignant, disaient-ils, la constitution d’un état oustachi. Belgrade s’y mettra très vite en attaquant officiellement la Croatie dès le mois d’août, ce sera le siège tristement célèbre de Vukovar, ville située à la confluence du Danube et de la Vuka, qui tombera le 18 novembre, tout comme Dubrovnik, située à l’autre bout de la Croatie, peu après.

En avril 1992, la guerre en Bosnie commence avec le siège de Sarajevo qui durera plus de trois ans. Après Sarajevo, on parlera de Srebrenica, et on parlera des fameux Radovar Karadzic et Ratko Mladic, le politique et le militaire des Serbes de Bosnie, qui finiront tous deux, après Milosevic, au Tribunal Pénal International de La Haye.

Le conflit yougoslave prendra fin avec la guerre au Kosovo, où, avec l’aide des forces de l’OTAN, les Albanais du pays prendront le pouvoir, chassant les Serbes kosovars avec la complicité des Occidentaux.

 

Dix ans de gâchis

Au moment où l’Europe se dotait d’un pouvoir unique puisqu’à la fois économique, monétaire et politique, avec le Traité de Maastricht en décembre 1991, les Balkans, éternelle source d’ennuis pour la vieille Europe, faisaient un bras d’honneur à cette nouvelle Europe propre sur elle, lui rappelant que tout n’avait pas été soldé durant la mise entre parenthèses due au Rideau de Fer. On l’a dit, certains pays à l’instar de l’Allemagne, ont jeté l’huile nécessaire à remettre en marche la machine à baffes, mais il faut bien reconnaître que sur place, chacun avait ses raisons d’en découdre : Belgrade venait de mettre au chaud (on dira détourner) deux milliards de dollars pris sur le budget fédéral, Zagreb avait déjà une joint-venture avec l’Allemagne, et le Président bosniaque Izetbegovic stigmatisait les Musulmans de son pays : « L’époque de la passivité et de la paix est révolue à jamais » écrivait-il dès 1990 dans son « programme d’islamisation des peuples musulmans ».

Vingt ans plus tard, seule la Slovénie a intégré l’Europe des 27 et la zone euro, la Croatie et la Serbie frappent à la porte, quant à la Bosnie et le Kosovo, ils sont malheureusement devenus, avec l’Albanie voisine, une importante tête de pont des trafics d’armes et de drogues vers l’Europe.

Nous n’avons jamais vraiment compris ce conflit apparu par surprise après l’euphorie de la chute du Mur. Alors, pour conclure, je vous invite à lire ce qu’écrivait en 1993 (en pleine guerre) Jacques Merlino, ex-rédacteur en chef adjoint à France 2, dans son livre « Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire (chez Albin Michel) : « Ce conflit irrigue de mauvaises artères, il fait perdre la tête aux intellectuels, il désapprend aux journalistes leur métier, il fortifie ceux qui font profession de manipulateurs des médias, il structure les réseaux du trafic d’armes, il exacerbe les conflits religieux, il rend idiots les hommes politiques… »

 

Jean-Yves Curtaud

7/2011

 
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