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Faut-il dépenser plus pour soigner mieux ?

25/03/2012
« Il existe dans tous les pays des possibilités d’améliorer l’efficacité du système de santé, et ces améliorations n’exigent pas nécessairement des dépenses supplémentaires » rappelait récemment M. Angel GURRIA, Secrétaire Général de l’OCDE, Organisation de Coopération et de Développement Economiques qui regroupe aujourd’hui 34 pays membres, et dont les rapports et statistiques font référence dans de nombreux domaines socio-économiques.
Cette déclaration peut-elle à elle seule résumer les maux qui frappent aujourd’hui notre système de santé : améliorer « l’efficacité du système de santé » sans pour autant passer par la case « dépenses supplémentaires », nous voici bien au cœur de notre interrogation, faut-il dépenser plus pour soigner mieux ? Une interrogation qui mériterait peut-être davantage d’intérêt en pleine campagne électorale eu égard aux sommes colossales mises en jeu chaque année pour ce seul secteur.

 

 

Les comptes au rouge… vif !

Pour améliorer l’efficacité de notre système de santé, nous verrons qu’il existe plusieurs pistes, depuis l’offre de soins à la surconsommation de ces mêmes soins, sorte de sport national en France. Quant aux dépenses, là encore, après avoir dressé un état des lieux qui pourrait devenir encore plus alarmiste avec quelque 22 milliards de déficit pour 2011 au compteur de la Sécurité Sociale, alarmiste car si rien n’est fait il y va de la survie de notre fameux « modèle », nous aborderons les différentes pistes pouvant nous mener à une meilleure gestion des cotisations perçues, même si, généralement, les Français se disent prêts à dépenser plus pour vivre mieux et plus longtemps. Un souhait qui, justement, n’est pas forcément lié à une augmentation drastique des dépenses de santé. Avec un peu de cynisme, on pourrait même ajouter que c’est déjà fait, ces dépenses ayant très fortement augmenté au cours de ces 20 ou 30 dernières années, progressant plus vite que la richesse nationale. Et si on remonte sur un demi-siècle, elles sont passées de 4,2% du PIB en 1960 à un peu plus de 11% aujourd’hui.

Mais bien sûr, le contexte n’est pas le même, tant en ce qui concerne les conditions de travail, de vie et d’accès aux soins – sans oublier la qualité des soins -, que notre espérance de vie.
Mais si on considère que ce Produit Intérieur Brut (PIB) a considérablement progressé depuis un demi-siècle, ces 11% représentent des sommes faramineuses, plus de 210 milliards sur un an, pour avoir une idée globale de cette somme, c’est en gros quatre fois le produit de l’impôt sur le revenu. On voit tout l’enjeu d’une maîtrise des dépenses de santé dans un contexte plutôt morose économiquement.
Dépenser mieux, c’est faire des économies pour soigner mieux. Pouvons-nous y parvenir ? 

 

Une offre complète mais des coûts qui flambent

On pourrait, sans se soucier des budgets et des cotisations obligatoires à mettre en face, partir du principe que la santé n’a pas de prix et que plus l’offre est vaste, mieux le citoyen sera soigné, mais cette offre a un prix, colossal, et celui-ci ne peut continuer à augmenter sous le double prétexte du vieillissement de la population et d’un dynamique du progrès médical.

Les dépenses de santé augmentent plus vite que les autres postes de consommation depuis la seconde moitié du 20e siècle, et quelle que soit la tranche d’âge, ces dépenses progressent d’année en année. Et comme nous sommes apparemment plutôt bien soignés, il n’y a aucune raison de trouver anormal un tel constat. De plus, si l’on considère que la moyenne de l’OCDE est de 8,9% du PIB, avec nos 11% consacrés aux dépenses de santé, nous ne sommes pas très éloignés d’un score moyen, sachant que les Etats-Unis culminent à 16% de leur PIB, ce qui paraît énorme dans un pays ne bénéficiant pas de la même couverture sociale que nous. 11% du PIB, mais près de 15% de la consommation finale des ménages (sources 2007). Alors, pourquoi s’inquiéter, d’autant plus que côté espérance de vie nous sommes dans les tout premiers au monde avec 80,9 ans contre 78,7 ans pour la moyenne de l’Union Européenne (78 ans pour les Etats-Unis). 

Est-ce à dire que face à ce vieillissement de la population il faut davantage d’hôpitaux (les seules dépenses hospitalières représentant déjà 44% de la consommation de soins et de biens médicaux), davantage de médecins, prescrire encore plus d’analyses sous prétexte que nous voulons vivre très vieux et en bonne santé ? Pas si simple. On ne construira pas de nouveaux hôpitaux richement dotés jusqu’à quadriller totalement le territoire afin que personne ne puisse se trouver à plus de dix kilomètres d’un établissement… un thème pourtant cher à une certaine démagogie politique s’appuyant sur une demande, peut-être légitime mais inconsidérée des citoyens, qui oublient parfois qu’ils devront mettre la main à la poche. On sait que l’offre hospitalière est souvent concentrée sur de petits, voire très petits hôpitaux, d’où un coût incompressible important : la France consacre deux fois plus de moyens aux dépenses de soins en milieu hospitalier que l’Allemagne et l’Italie.

 

Des coûts qui flambent

22 milliards de déficit en 2011 pour la Sécurité Sociale, dont près de la moitié pour la seule branche maladie, et des dépenses de santé qui augmentent de 2% de plus que le PIB. Et pourtant, les causes apparemment « visibles » de ces dérapages, le vieillissement de la population et la dynamique du progrès social, ne sont responsables de la hausse des dépenses de santé qu’à hauteur de 0,65% pour la première, et 0,25% pour la seconde.

Trouvera-t-on le Graal ? Entre la responsabilisation des patients et la surconsommation de soins, existe-t-il un terrain d’entente ? Pas si sûr, car 

l’augmentation des dépenses est parallèle à une inflation de déremboursements. On sait, par exemple, que si le nombre de consultations n’a pas significativement augmenté, les dépenses après consultation ont elles nettement progressé. De toute évidence, il faut agir autrement, même si le coût des traitements augmente (nouveaux produits, nouvelles procédures).

 

Comment peut-on soigner mieux en dépensant moins ?

Il n’y a pas d’ironie ou de provocation dans cette question, nous allons d’ailleurs voir où des économies sont réalisables rapidement, et comment, par rapport à ce qui se fait ailleurs avec succès, nous pourrions adapter notre système face aux défis économiques.

On peut identifier plusieurs causes de nos déficits. On l’a vu, nous avons une offre pléthorique en matière d’établissements hospitaliers publics et privés, près de 3.500 en France, on y emploie trop de personnel, autant qu’en Allemagne où l’on compte 20 millions d’habitants en plus. Et pour « rentabiliser » ces établissements, on hospitalise beaucoup, une personne sur quatre par an, alors que la moyenne européenne est d’une sur six. Il faut donc mutualiser les moyens, réorganiser et évaluer les besoins localement, fermer des établissements coûteux et peu performants (un tiers du parc hospitalier est obsolète), c’est tout le sens des « communautés hospitalières de territoire » de la loi HPST promulguée le 21 juillet 2009, dite loi Bachelot. Mutualiser pour gagner en coût et en efficacité. Et on pourrait rappeler le rapport de la Cour des Comptes en 2009 sur les Hôpitaux de Paris qui montrait, entre autres, qu’en moyenne le personnel administratif cumulait un mois d’absence par an, 50 jours de RTT pour les médecins, et la présence de seulement 1/5e des effectifs l’après-midi. Aucune économie possible diront certains ?...

Autre cause de nos déficits chroniques, les retraites. Depuis l’instauration de la retraite à 65 ans au sortir de la seconde Guerre Mondiale, l’espérance de vie a progressé de vingt ans, et entre temps nous sommes passés à la retraite à 60 ans. Nous voici aujourd’hui face à un « péril » que nous n’avons pas voulu prévoir, le départ à la retraite des générations de l’après-guerre, les baby-boomers, dont les effets se feront sentir jusqu’en 2030. On vient de passer de 60 à 62 ans, peut-être serons-nous obligés de revenir à 65 ans pour assainir les comptes de cette branche, car même si elle n’est pas dans l’enveloppe de l’assurance maladie, la branche vieillesse entre en compte pour le déficit global, dont elle est responsable pour près de la moitié.

Enfin, autre cause de nos déficits, la surconsommation de soins parce que nous ne voyons que très rarement la facture : la part des ménages est de seulement 9,4% des dépenses de soins et biens médicaux, la Sécurité Sociale couvrant 75,6% de celles-ci (7,7% pour les mutuelles). Et chaque déremboursement qui doit entraîner des économies (400 millions pour 2011) ne peut rien contre un trou qui se creuse inexorablement.

Ces trois exemples montrent que l’on pourrait remédier à cette fatalité en agissant sur l’hospitalisation (ou la durée) qui n’est pas toujours justifiée, sur le recul de l’âge de départ à la retraite, et sur un véritable contrôle de la surconsommation de soins : d’après une étude d’UFC Que Choisir, des prescriptions « irrationnelles » auraient entraîné un milliard de surcoût entre 2002 et 2006. Et depuis ?

 

Changer d’habitudes

Il faut toujours voir ailleurs ce qui marche afin d’essayer d’améliorer un système, parfait au départ, mais qui est devenu au fil des décennies une usine à gaz.

La perte d’autonomie concerne un million de personnes âgées, et on compte aujourd’hui 1,3 million de personnes de plus de 85 ans, elles seront 2 millions en 2015, l’augmentation devrait être de l’ordre de 1 à 1,5% de la population totale chaque année d’ici à 2040. Bien avant nous, nombre de pays de l’Europe du Nord ont travaillé sur la prise en charge de la dépendance. Cette prise en charge représentait 1% du PIB en 2008, soit près de 20 milliards. Ce qui est appelé le « cinquième risque » sera-t-il à la charge de l’Etat, via de nouvelles cotisations obligatoires ? La piste de l’assurance privée obligatoire, capital bâti tout au long de la vie, sera certainement l’une des solutions de financement, mais bien sûr elle est en partie inégalitaire. On en saura plus début 2012 avec une loi à ce sujet.

De 1995 à 2009, la dépense pour les soins hospitaliers est passée de 47,6 milliards à 78 milliards en euros constants (sources INSEE), celle des soins ambulatoires de 26,8 à 48,3 milliards. On voit qu’il y a de la marge pour trouver des économies, ne serait-ce qu’en développant l’hospitalisation à domicile qui permet à un patient sur trois de raccourcir l’hospitalisation, et de l’éviter à un autre sur trois.

Avec sa réforme du système de santé, Barrack Obama a demandé aux hôpitaux de proposer des « paniers de thérapie » avec résultat au bout afin de sortir du système de santé le plus coûteux au monde (les dépenses de santé y sont 2,5 fois supérieures à la moyenne de l’OCDE). La France n’est pas passée au « panier de thérapie », mais la tarification à l’activité (T2A) va aussi dans le sens d’une rationalisation de la gestion, les établissements étant rétribués en fonction de ce qu’ils traitent. 

Une autre question fait débat aujourd’hui, faut-il revoir les ALD Affections de Longue Durée) et leur remboursement à 100% ? Là encore, on peut rappeler quelques chiffres : 18,5 milliards de dépenses de médicaments en 1995, puis 35,4 milliards en 2009. Rien que sur ce poste, l’écart en quinze ans représente à lui seul les deux tiers du déficit de cette année (pour environ 6 millions d’habitants supplémentaires). Bien sûr, les ALD ne sont pas les seules responsables de cette augmentation, mais les abus sont connus.

Enfin, la prévention est bien sûr un moyen de réduire notre facture santé, la prévention et l’éducation. Voilà peut-être une partie de la réponse à nos interrogations : faut-il dépenser mieux pour ne pas être malade ?... sans pour autant rappeler les bases de la médecine chinoise où l’on ne paie le médecin que si l’on n’a pas été malade.

 

Tordre le cou aux idées reçues

« Dépenser plus pour soigner mieux » éviterait nombre de contraintes désagréables, dont la première est la plus insupportable pour tous les pouvoirs politiques, dire non aux demandes incessantes, qu’elles viennent du secteur soignant ou des usagers (ou clients !). Pourtant, face aux déficits abyssaux qui s’annoncent, il paraît impossible de repousser les réformes de fond, nécessaires à la pérennité du système : réforme de l’hôpital en mutualisant l’offre après des fermetures obligatoires, accentuation de la prévention, notamment au niveau des affections chroniques (diabète, asthme) et des cancers, convaincre le corps médical que le choix certes libre mais raisonné des prescriptions permettrait de limiter des dépenses sans pour autant nuire à la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins. 

Mais ne dépense t-on pas aussi par clientélisme, le maire d’une commune de 12.000 habitants ne pouvant admettre la fermeture d’un hôpital, par ailleurs premier employeur de la ville ? Et nous revoilà dans une spirale infernale : il faut remplir l’hôpital pour le sauver, un peu comme parfois le généraliste allonge l’ordonnance à la demande du malade… pour ne pas perdre un client.

Quoi qu’il en soit, « dépenser plus pour soigner mieux » équivaudrait à décider, soit de fortes augmentations de cotisations sociales (et mutuelles), soit obliger les Français à souscrire davantage d’assurances privées. C’est la solution de facilité, mais elle a son inconvénient (même si elle rassure les personnels de santé, médicaux et administratifs qui demandent toujours plus de moyens), elle casse la dynamique de l’emploi, elle appauvrit les petits salaires, et surtout, elle laisse croire qu’il n’y a rien d’autre à faire, que tout est inéluctable. Il est donc inconcevable de ne pas changer profondément cette approche que l’on a du coût par rapport à la qualité, ou, comme le rappelle Jean de Kervasdoué, « il faut tordre le cou à une idée reçue, ce n’est pas parce que les dépenses de soins augmentent que l’on a une meilleure santé. »

Voudrait-il dire par là que nous n’en avons pas pour notre argent ?...

 

 

Fernand Hurt

 

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