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Economie à sec

08/11/2012
Il y a cinquante ans, le monde changeait de siècle, le début des années soixante correspondait ici en Europe à l’éveil du grand essor économique alors que sur le continent africain, il était question d’indépendance, preuve que nous pouvions, notamment en France, être prospère sans pour autant posséder une partie non négligeable de la planète. En fait, cette expansion économique annoncée était basée sur une paix enfin durable promise chez nous et sur une idée nouvelle du développement industriel qui allait finalement bien s’entendre avec la demande de masse. L’essor de l’automobile, réellement démocratisée, en était l’illustration parfaite.

 

 

Il y a cinquante ans, nous entamions un cycle inédit qui allait apporter la prospérité à l’Europe occidentale, et donc à la France, une prospérité initiatrice d’une vaste classe moyenne et dont son corollaire serait l’expansion sans précédent des politiques sociales. Tout le monde allait en profiter.

En 1962, nous lancions également le grand chantier de la réconciliation franco-allemande avec la première visite du Général de Gaulle à Bonn, réconciliation qui aboutira quelques mois plus tard à cet accord entre la France et la RFA sur la coopération économique, politique, militaire et culturelle, accord qui sera scellé au moment où le dernier Président de « l’ancien siècle », René Coty, tirait sa révérence. Au passage, l’Europe balbutiante en profitait pour ajouter quelques arpents de solidarité avec ses agriculteurs en créant la désormais indispensable PAC ou Politique Agricole Commune.

Oui, l’Europe changeait de siècle et de cap en cette même année, et ce sur les trois accords des chansons des Rolling Stone jouées pour la première fois au Marquee Club de Londres.

 

Le Moyen-Âge vu d’ici…

Changement de siècle disions-nous ? A n’en pas douter, souvenons-nous qu’il y a seulement cinquante ans les Français n’avaient souvent pas le dixième de ce que nous possédons aujourd’hui : le chauffage central était inexistant, seulement 20% des foyers possédaient une machine à laver, un frigidaire et une télévision qui diffusait des programmes en noir et blanc sur une seule chaîne de 19 heures à 23 heures, et bien sûr, pas de téléphone ou très peu, pas d’ordinateur, pas de congélateur, enfin, seulement 30% des ménages roulaient en automobile, une voiture dont le prix d’achat était exorbitant, il fallait environ 3.400 heures d’un smicard pour s’offrir une Renault Dauphine, à titre comparatif il ne faut que 1200 heures de SMIC pour acheter une Twingo à 10.000 €. 

Côté logement, ce n’était pas la vie de château à tous les étages, 35% des logements n’avaient pas l’eau courante (étonnant, pourtant vrai !), 70% n’avaient pas de salle de bains ou de WC à l’intérieur. Voilà ce qu’était la vie au quotidien des Français au début des années 60, il y a seulement cinquante ans. Il faudra attendre les constructions massives des années 60 (dans les fameuses ZUP) pour qu’enfin la France puisse faire face à ses besoins colossaux en matière de logements dignes de cette époque nouvelle naissante.

Globalement, cette révolution économique va durer jusqu’au changement de millénaire, même si les premiers signes de fatigue apparurent à partir des années 80, en fait jusqu’à l’émergence des pays dits émergents. Il fallait bien que cela arrivât un jour. Mais peut-on pour autant tout mettre sur le dos de la Chine sous prétexte que de 2000 à 2010 sa croissance aura été à deux chiffres (entre 9 et 12% chaque année) alors que la nôtre filait comme peau de chagrin ? Pas sûr.

Si on regarde ce qu’il s’est passé ici en France, on constate que si la croissance se situait en moyenne à 5% durant les Trente Glorieuses, disons de 1950 au premier choc pétrolier de 1973, petit à petit elle s’est mise à fondre au fur et à mesure de l’élargissement de l’Europe politique… et commerciale. Alors parlons de ce qui fâche : étions-nous obligés de passer aussi vite de 15 à 27 ? Les nouveaux arrivants nous ont vite fait comprendre que notre industrie ne serait plus compétitive, l’image du plombier polonais était mal choisie, la forme était douteuse, mais le fond était exact. Et nous avons compris que pour tenir le choc c’est chez eux qu’il nous fallait fabriquer ce que nous faisions à la maison auparavant. Là encore, l’industrie automobile est l’exemple idoine, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République Tchèque, et même Turquie, sont devenues autant de terres d’accueil pour notre industrie. La machine était enclenchée… 

 

Compétitivité et solidarité…

Il faut bien reconnaître que cette accélération de la richesse produite alors était sans précédent, cette seconde moitié du 20ème siècle restera dans les annales. 

A l’époque, « être compétitif pour être plus solidaire » voulait dire quelque chose. Cette phrase, que vient de nous déballer notre Premier Ministre à propos du rapport Gallois, n’était alors pas vide de sens, elle aurait pu être fort judicieusement prononcée par le Premier Ministre du Général en 1962. Aujourd’hui, dans l’état actuel de notre économie, elle n’est qu’un écran de fumée destiné à nous beurrer la gaufrette.

Normalement, la compétitivité induit la prospérité qui elle-même sera l’élément clé pour une meilleure solidarité. Il faut avoir les moyens de cette solidarité. A votre avis, combien de temps encore aurons-nous les moyens de financer cette politique sociale tellement au point qu’elle a fini par créer une « armée mexicaine » de cas sociaux, des familles qui, depuis vingt ou trente ans, tirent leurs revenus à 100% de la solidarité ? 

Et que veut dire « être compétitif » dans l’état actuel de nos finances ? Va-t-on demander un alignement général des salaires des Français sur les moins-disants de l’Europe ? Balivernes ! Le problème ne sera pas réglé en abaissant le coût du travail par une augmentation des impôts ou de la TVA, ou comme annoncé en offrant un crédit d’impôts aux entreprises… dont beaucoup n’en paient plus parce qu’elles ne font plus de bénéfices. Quelle méconnaissance du monde de l’entreprise, et comme on a envie de dire à nos politiques et à leurs sherpas des cabinets, mais allez donc travailler dans la vraie vie !!!

Aujourd’hui, les seuls leviers efficaces sont ceux des transferts sociaux, qui dépassent les 550 milliards, et les services publics, notamment au niveau des collectivités. C’est ici et nulle part ailleurs que l’on trouvera de réelles possibilités d’inversion de cette fatalité qui nous tombe dessus. Les Allemands que nous regardons avec envie parce qu’ils exportent et savent se serrer la ceinture pour sortir du marasme n’ont pas botté en touche. Mais peut-être ont-ils des responsables politiques plus courageux que les nôtres ?

Comment pourrons-nous sortir la tête de l’eau en ajoutant des fonctionnaires aux fonctionnaires (les fameux emplois aidés), en augmentant les allocations (allocation rentrée), en persistant avec les 35 heures et la retraite à 60 ans ? Ces gens vont nous mettre à terre et lorsqu’il sera trop tard ils nous demanderont l’effort ultime, donner tout ce qu’on possède au nom de la patrie, du redressement national et blablabla… pour enfin « être plus compétitif pour être plus solidaire »

Est-ce de la solidarité que de faire passer de 2% (en 2009) à 20% l’impôt sur l’intéressement salarial ou de fiscaliser des heures supplémentaires qui mettaient un peu de beurre dans les épinards ? Sûrement pas, et ce ne sont pas les riches les premiers concernés.

Redisons-le, la compétitivité ne reviendra pas par des mesures annexes, pas trop dérangeantes pour les alliés politiques du pouvoir, elle reviendra si les Français le veulent, le veulent vraiment, et il faudra qu’ils le disent clairement. Car il s’agit d’un effort collectif, un effort au quotidien et général, en clair passer à autre chose, oublier le tout gratuit, l’obligation d’un service public installé en bas de chez soi, oublier les RTT et les arrêts maladie non justifiés juste pour faire une ou deux semaine de vacances supplémentaires, et oublier aussi cette professionnalisation de l’humanisme qui consiste à demander au pays d’accueillir toute la misère du monde.

Nous n’avons plus les moyens de vivre comme des riches, nous avons juste les moyens de vivre comme des gens normaux. Ca tombe bien, on a un Président normal !

 

Jean-Yves Curtaud

 
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