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Un pneumatique « titanesque » !

21/02/2013
« Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers, Titan n’est pas intéressé par l’usine d’Amiens-nord. Vous voulez que Titan démarre une discussion, nous ne sommes pas si stupides que ça. » C’est ainsi que Maurice Taylor Jr., patron de la société américaine Titan, fabricant de pneumatiques pour tracteurs, s’exprime dans un courrier qu’il vient d’adresser à Arnaud Montebourg notre ministre du redressement productif. Et ce qui a fait bondir la CGT est du même cru, cet incorrect monsieur Taylor ose mettre en doute l’efficacité des ouvriers de chez Goodyear : « Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures. Je l’ai dit en face aux syndicats français, ils m’ont répondu que c’était comme ça en France. »

 

 

C’est dire si après une telle missive, tout le landerneau de la politique et du monde syndicat est en émoi, on a parfois fait la guerre pour moins que ça ! Certes, le bonhomme n’est pas un modèle de diplomatie, mais on savait déjà que la CGT avait mis la barre tellement haute lors des discussions avec d’éventuels repreneurs pour le site Goodyear, et notamment avec l’américain Titan International, qu’il paraissait évident qu’une fin de non-recevoir suivrait très vite. Mais on ne l’attendait pas si violente. Evidemment, la réponse du ministre Montebourg était de la même veine, on est au moins certain que ces deux-là ne passeront pas leurs vacances ensemble…

 

Arrière-garde

Après, que faut-il penser ? On a peut-être ce qu’on mérite. Souvenons-nous de ce qui se disait il y a pile un an quand les pieds dans le dur de la campagne électorale chacun fourbissait ses meilleurs plans pour le bonheur du peuple. « C’était le temps béni de la rengaine, c’était le temps où les chanteurs avaient de la voix », le célèbre couplet de Serge Lama colle à cette époque comme un gant dans la vaisselle. La rengaine électorale permettait toutes les promesses, on allait voir ce qu’on allait voir, on interdirait les licenciements boursiers (et autres comprirent certains), on prendrait l’argent des riches, et tous nos problèmes deviendraient fongibles une fois le « changement maintenant » acté. Il n’en fallait pas davantage pour sortir le mousseux et les boudoirs afin de fêter dignement le changement de majorité, de société, et pourquoi pas de méridien et d’hémisphère. 

Ceux qui aujourd’hui sont confrontés à ces plans sociaux dramatiques se souviennent sûrement des visites du candidat Hollande sur les parkings des usines en lutte : la crise, quelle crise ? Les déficits ? On s’en fout ! Les patrons voyous ? On les mettra dehors ! Et la foule applaudissait, le Barnum hollandais n’avait même pas besoin de sortir ses éléphants pour distraire les foules, ses appas servaient d’appât et à chaque fois on remontait quelque chose dans les filets. 

Puis il y eut l’été, l’automne, et l’hiver tueur de pauvres gens. La dure réalité économique du moment n’a pas eu besoin de se mettre en danseuse pour rattraper l’équipage bringuebalant déjà à bout de souffle à mi-col. Après avoir admis la crise, après avoir décidé de bloquer le compteur des déficits sur 3%, puis de le débloquer, après avoir déclaré la guerre aux djihadistes en mobylettes, après avoir acté les plans sociaux dans le secteur de l’automobile (et ailleurs), après avoir renvoyé aux calendes grecques le non-cumul des mandats à cause des dangers que présenterait une mini dissolution, voici que la solubilité des idées amène nos descendants de Jaurès, Blum et Mitterrand à réfléchir sur la fiscalisation des allocations familiales, un truc à se mettre tout le monde à dos en moins de temps qu’il n’en faut pour cuire un œuf à la coque.

Oui, on a peut-être ce qu’on mérite. Depuis trente ans, nous semblons vouloir ignorer le reste du monde partant du principe que la France c’est un peu comme l’Albanie de la grande époque, si ça ne va pas il n’y a qu’à fermer les frontières et on vivra entre nous. Lors de l’arrivée de la crise en 2007, nous mettions en avant notre modèle de fonctionnarisme qui serait le meilleur amortisseur en la matière. Demandez aux Grecs comment les amortisseurs publics les ont protégés des secousses ?

Bon, monsieur Taylor, le titan de chez Titan, a chargé la barque. Mais on sait tous qu’effectivement on peut être souvent loin des sept ou huit heures de travail quotidien, les retards, les absences, les stages, les congés, les retours de congés, les pauses de ceci et de cela, l’heure de repas qui dure 80 minutes, la coqueluche du dernier et la grippe trois fois de suite le même hiver (c’est pas de chance !) sont autant de freins à cette compétitivité que nous recherchons jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Sans parler des toutes les contraintes administratives, des lois qui s’empilent sur des règlementations, des embauches massives dans les collectivités, et de ce dialogue social qui semble s’être bloqué sur les directives du Conseil National de la Résistance, un truc respectable certes, mais qui a quand même près de soixante-dix ans. 

Alors, maintenant, il faut savoir si on peut, et si on veut, retrouver cette envie de casser la baraque, sortir du laïus qui consiste à dire ce que les gens veulent entendre, et arrêter de se comporter comme un rebec qui ferait un complexe face à un alto : nous avons les moyens de faire aussi bien que nos voisins les plus proches sur l’autre rive du Rhin, il faut juste ajouter une dose de responsabilité à nos actes, arrêter de se considérer comme les plus démunis, les plus mal aidés, les plus mal compris, et les plus fatigués de la planète. Faute de quoi, les messieurs Maurice Taylor de Titan et d’ailleurs n’ont pas fini de se foutre de nous.

 

F. Hurt

 

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