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Le Pen, une histoire mitterrandienne

13/01/2013
Dans leur excellente et impartiale biographie consacrée à Le Pen (chez Robert Laffont), Philippe Cohen et Pierre Péan ont choisi comme sous-titre « une histoire française ». C’est exact, mais pas totalement significatif.
Exact car la vie publique de Jean-Marie Le Pen accompagne toute l’histoire de la 5ème République, il fut même député poujadiste (une seule fois) avant le retour aux affaires du général de Gaulle en 1958. Mais ensuite, plus rien. Plus rien durant trente longues années hormis une vie de chef de mouvement « groupusculaire » et inaudible électoralement. Le Pen disparaît des écrans radar avec l’arrivée des Gaullistes, et cette absence durera jusqu’au milieu des années 80, c'est-à-dire avec l’arrivée à l’Elysée de François Mitterrand.

 

 

 

Une première en France !

Très habilement, le Président d’alors va utiliser ses réseaux – dont certains issus de la Collaboration – afin de permettre au vieux lion endormi de se réveiller. Ce sera un peu par hasard lors des municipales de 1983 où le Front National se fera remarquer du côté de Dreux, mais cette résurrection prendra réellement forme avec les Européennes de 1984 qui permettront à l’extrême droite française de disposer de députés européens (dix élus au total, soit autant que le Parti Communiste).

Mais il fallait aller plus loin et très vite, il fallait que « la chose » devînt un véritable aspirateur à voix de droite, il y avait urgence car la maison Mitterrand prenait l’eau.

La forfaiture prendra la forme d’une révision de la loi électorale avec l’instauration de la proportionnelle intégrale et départementale aux législatives de 1986. Avec ce subterfuge, François Mitterrand et ses amis espéraient échapper à la cohabitation. Le coup failli réussir, avec 35 députés (autant que le PCF), le Front National entrait en force à l’Assemblée, pour la première fois et grâce à François Mitterrand.

Avec le recul, on imagine l’issue de ce scrutin si, à l’instar de ce qui arriva lors des élections régionales en Rhône-Alpes en 1998, droite et gauche s’étaient retrouvées à égalité de sièges ? Le FN en position d’arbitre aurait peut-être basculé dans une autre stratégie…

 

Une longue route…

En attendant, tout était en place, et même si Jacques Chirac changea à nouveau le mode de scrutin pour les législatives de 1988, rien ne fut plus comme avant, le RPR et l’UDF, puis l’UMP par la suite, auront à gérer ce « poison » frontiste sur leur droite.

Par la suite, en 1997, la Gauche Plurielle remportera par surprise les élections législatives issues de la dissolution, et ce grâce aux nombreuses triangulaires initiées par le Front National : l’acte était signé, faire tomber la droite dite républicaine, tel était le credo des candidats frontistes. Un exemple concret, deux circonscriptions face à face du côté de Vienne en Dauphiné, l’une dans l’Isère tenue par un UDF, l’autre de l’autre côté du Rhône tenue par un RPR. Les deux auront droit à une triangulaire et ce sont deux socialistes qui l’emporteront, dont Louis Mermaz, fidèle et très proche de Mitterrand, ce même Louis Mermaz qui deux ans auparavant sauvait sa mairie de Vienne grâce à une triangulaire.

Finalement, la seule fois où le boomerang est venu frapper de plein fouet celui qui l’avait lancé ce fut en 2002 lorsque Le Pen se qualifia pour le second tour de la présidentielle au détriment de Jospin !

 

Une affaire de famille

Quoiqu’il en soit, finir deuxième ou troisième ne change rien, le FN fait le plein dès le premier tour, on a pu le constater avec le score de Jean-Marie Le Pen au second tour face à Chirac cette même année 2002. Et déjà, le vieux lion commençait à être fatigué, ce combat ne l’amusa pas particulièrement. 

Mais après Le Pen il y a encore Le Pen, voici Marine, la fille qui voudrait peut-être donner l’impression de tuer le père, qui joue à fond la modernité, qui annonce haut et clair qu’elle fera du FN un parti de gouvernement, mais qui n’a eu également de cesse de taper et retaper exclusivement sur Sarkozy durant sa campagne présidentielle… bien dans les bottes de papa finalement ! 

Après le père, la fille deviendrait-elle le meilleur allié subliminal (et électoral) du Parti Socialiste ? Et comme il faut penser à l’avenir, voici aussi la petite-fille, seule élue frontiste avec l’avocat Collard. Grand-père, fille et petite-fille, voilà bien une affaire qui pourrait perdurer jusqu’en 2050… Une histoire d’un siècle.

Bien sûr, François Hollande n’est pas François Mitterrand, les années 2010 ne sont pas les années 80/90. Et alors ? Croyez-vous que cela peut changer l’évidence d’une stratégie prête à l’emploi ? Si quelques lois peuvent déranger voire déstabiliser l’électorat conservateur (comme le mariage pour tous par exemple, ou le droit de vote pour les étrangers), le pouvoir ne s’en privera pas, surtout si cette politique peut offrir la possibilité au Front National de prospérer. 

 

Souvenir de Rhône-Alpes…

« La Chose » a été créée pour cela, et même si François Mitterrand a emporté avec lui le secret de fabrication, les effets destructeurs des triangulaires (ou d’un retour partiel à la proportionnelle) pourraient encore être d’actualité lors d’une prochaine élection, lors des prochaines municipales de mars 2014 par exemple. 

Finalement, en trente ans, le Front National a plus souvent fait triompher le Parti Socialiste plutôt que ses propres idées. En région Rhône-Alpes, Charles Million en sait quelque chose… Et cela nous ramène au serpent de mer : la droite doit-elle se rapprocher du Front National ? A l’évidence non ! Rien ne serait pire qu’une confusion des idées et des programmes car au bout du compte il n’y aurait jamais de possibilité de gouverner ensemble. Le Front National n’est pas fait pour les alliances, il semble d’ailleurs ne pas être fait pour gouverner, même seul, là n’est pas son intérêt. C’est un parti qui s’oppose, à tout, systématiquement, qui va chercher les voix dans les frémissements de révolte (souvent liés à de graves crises économiques ou sociétales), et qui, après tout, vit plutôt bien pour peu que le score se situât entre 15 et 18%. Bien sûr, il a des élus régionaux et européens, mais ceux-là ne décident jamais de la politique du pays. Ils sont les élus « défouloir » issus de scrutins intermédiaires, sans véritable enjeu national.

Non, la droite n’a rien à gagner avec le FN, si ce n’est perdre sur son centre ce qu’elle trouverait, peut-être, sur sa droite. Le seul vaccin efficace est d’aller directement au combat des idées face à une gauche qui s’étire de plus en plus sur son axe, un étirement qui ira forcément à la déchirure, car François Hollande devra obligatoirement trancher entre social-démocratie et lutte des classes.

Mais c’est déjà une autre histoire…

 

F. Hurt

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